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26 novembre 2017 7 26 /11 /novembre /2017 07:07

Frank Williams, plays his harmonica during a lull in the operations at Dak To, 26 November 1967. U. S. Army photograph, National Archives.

Le coup du Barbe-Bleue, extra.

Tu ne crois pas à la survie des âmes, et encore moins à la résurrection des corps, mais si d’aventure tu te trouvais encore un peu de conscience de l’autre côté, et la possibilité d’échanger encore avec des êtres toujours avides d’histoires bien humaines, tu raconterais volontiers celle-là.

Il faut juste revenir un peu en arrière.

Tu avais fini par retrouver la trace de Réginal, en remuant sans scrupule les poubelles les plus sales de la République, en sinuant entre vermines et cloportes, graissant quelques pattes, attisant les trahisons. Par chance, beaucoup dans son milieu se croyaient intouchables, ne se bardaient pas de prudence excessive. Tu reçus des confidences inespérées, l’ordure donnait dans le trafic d’armes, pas étonnant s’il ne réclamait pas de protection policière.

Tu t’installas à proximité  de la ferme où il recevait et transférait de pleins camions vers l’aéroport de Déols lâché par les Américains. Un sous-bois moussu avec vue imprenable sur un coin de la cour de ferme. Mais voilà, à peine le poste de vigie achevé, voici qu’un couple fait irruption dans le sanctuaire, passe à vingt mètres de toi sans rien voir (tu es certain maintenant que ton camouflage est très réussi), rentre dans la grange et se fait gauler deux heures plus tard. Et ce couple n’est pas n’importe quel couple, ce sont deux des jeunes du Nouvel An à Tours, la fille aux seins de mangues fraîches et le zazou azimuté qui t’avait suivi boulevard Heurteloup. C’est une énigme que leur présence. Ou bien c’est la fièvre qui te reprend et te fait halluciner.

Tu n’as plus longtemps à attendre maintenant pour me rejoindre, bien que tu ne croies pas à la survie des âmes et encore moins à la résurrection des corps, moi j’y crois pour deux, et tu le sais, mais il faut achever le récit, boucler la boucle, et ce récit le confier aussi à l’homme qui te traquait et qui pour te retrouver a recherché tes victimes. Il était là-bas aussi, piégé par Réginal, il ne devait pas en principe en ressortir vivant.

Pénétrer en catimini dans la ferme était presque impossible, un monstre canin à l’odorat surdéveloppé, qui aurait repéré à trois cents mètres une larme de sang sur une baïonnette, montait la garde depuis la porcherie d’où il ne sortait guère que pour vider ses entrailles.

C’est en voyant l’estafette de Barbe-Bleue tourner dans la campagne, klaxonner gaiement dans les hameaux, que l’idée t’est venue. Le commerçant n’aurait jamais dû s’arrêter pisser.

L’autre dimanche, tu as donc déboulé dans la cour à fond les ballons, klaxon surpuissant, les pneus faisant gicler la boue fomentée par la noria des Saviem. On s’attend à une attaque sournoise, voici la charge de la brigade légère version percheron. Le commissaire s’y est laissé prendre, il est sorti sans penser une seconde qu’il avait devant lui Félix Bérenger, alias Alexandre alias Jacques Dubreuil, alias Le Stéphanois. Tu l’as descendu aussitôt, une rafale de Sten a suffi, sa carcasse est allée se vautrer dans une ornière. Que ce corps-là puisse ressusciter te semblerait véritablement scandaleux.

Cela donnait un répit à Réginal, qui en profita d’abord pour lâcher son fauve, qu’une autre rafale de Sten renvoya à l’enfer des clébards. Comme pour saluer l’événement, le ciel se mit à pleuvoir, de la bonne pluie de novembre, bien froide, qui claquait contre la tôle et les ardoises.

Réginal était bien décidé à prouver qu’il n’était pas que la moitié d’un enfoiré. Il sortit brutalement, revolver au poing, avec la jeune femme ligotée aux bras, la tenant fermement devant lui. Bouclier humain. “Pose ton arme, sinon je la descends”. Des conneries comme ça.

“J’en ai rien à foutre de cette gonzesse”, tu as répliqué. Et tu as même ajouté, pour que les choses soient claires : “Je vais vous buter tous les deux”.

Au vrai, la petite ça t’ennuyait. Et même plus que ça, tu avais eu le temps de l’apprécier au réveillon de Tours, ça paraissait si loin déjà, mais il ne fallait pas laisser croire à Réginal que tu avais un atome d’attachement pour cette nénette.

“Laisse-la partir et on se fait ça à l’ancienne, façon OK Corral.” Tu avais le coeur à rire, c’était le dernier, il fallait soigner la scène finale.

Tu es sorti de derrière l’estafette, la pluie cinglait maintenant ton visage. Tout s’est passé très vite. En s’offrant à découvert, tu as donné à Réginal le signal qu’il fallait, il t’a pointé aussitôt et la fille a basculé sur le côté. Les détonations furent presque simultanées. Sa tête a éclaté comme une grenade trop mûre, et il est parti en arrière en titubant comme un poulet qu’on a fait boire, avant de se fracasser contre la fenêtre de la cuisine, la faisant voler en éclats.

Toi, tu avais deux trous rouges au côté droit.

Il y a une semaine de ça, très exactement. Il y a eu ensuite des jours que tu n’as pas connus, ou bien par intermittences. Le transfert à Châteauroux, puis à Paris. Ambulances, pluies encore sur toutes les vitres du monde, gyrophares, blouses blanches, cliquetis des scalpels, paroles qu’on n’arrive plus à rejoindre.

Il y a une semaine, et ils sont là, devant toi, l’inspecteur qui te traquait, pas mal amoché aussi, la fille, plus belle que jamais et dont jamais, mon amour, tu ne caresseras les seins de mangue fraîche, et puis le zazou, discret aujourd’hui, intimidé ça se sent.

La fille - Isabelle, son prénom t’est revenu - a apporté un magnéto à cassettes et elle te passe la chanson de Scott Mac Kenzie, San Francisco. “Johnny la chante aussi, dit le zazou, et il est même en tête du hit-parade ce dimanche.” Elle le regarde avec pitié : “Je préfère l’original.” Elle te demande aussi si tu aimes Jimi Hendrix. Ca a l’air important pour elle, aussi tu murmures que oui. Tu murmures parce que ton souffle est court, que ton poumon est atteint, et que la vie est chez toi en partance, malgré les blouses blanches et les scalpels.

L’inspecteur n’a pas fini de te traquer. De son oeil contusionné, mauve, il te regarde intensément, il a besoin d’une réponse.

Lili ?

Barbe-Bleue, c’était bien trouvé, c’était bien toi la Barbe-Bleue.

Lili est vivante, mais tu n’auras pas assez de souffle pour raconter toute l’histoire alors tu leur donnes l’adresse de celle qui sait tout.

Si tu croyais à la survie des âmes, mon amour, tu penserais qu’elle est bien proche l’heure de nous retrouver.

 

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24 novembre 2017 5 24 /11 /novembre /2017 23:27

Notre informateur Sergueï T. nous envoie quelques nouvelles du Baroudeur. Il faut prendre bien sûr toutes ces informations avec précaution (Sergueï n'étant pas loin d'égaler le Spaggiari de la rue de la Gare au chapitre de la filouterie).

Vientiane, les moines frappent le gong. Ça réveille les coqs qui se mettent à chanter. Alors les femmes s'activent et ça réveille les hommes. C'est la logique observatrice que rapporte le Baroudeur.

Il dégustait une bière en me causant dans le micro de son ordi avec skipe. Le Baroudeur utilise toute la technologie du 21° siècle. Il grignotait à l'aise, quelques graines de lotus.

Ses premières notes sur sa thèse avancent : il allait se coucher car arrivaient 21 heures. J'ai évité de répondre que 14h allaient sonner et que j'allais faire la sieste.

Chaque jour le baroudeur assure un échange avec des profs de fac pour qu'ils improvent their english et lui, son lao. Le baroudeur est polyglotte.

Du filet à éléphant, il n'a pas soufflé mot. A mon avis, ça n'a pas dû trop marché.

Je ne peux pas révéler plus avant ses travaux sur les b... d'éléphant car la racaille dynamique sévit en sourdine. J'ai senti le Baroudeur méfiant.

Méfiant mais coule, dans ses sandales du pélerin® , il est allé chez le coiffeur. Je diffuse sa photo actualisée en cas de kidnapping. Cependant, j'ai pris soin de faire disparaitre toute trace de coordonnées gps des métadonnées de la photo. Le Baroudeur est en territoire hostile.

 

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19 novembre 2017 7 19 /11 /novembre /2017 07:07

Journal de Loulou Dandrel (extraits)

 

Mardi 14, Tours

 

Isa déboule chez moi aux aurores, c’est-à-dire pas loin de neuf heures du matin, excitée comme une puce. Elle n’a pas de nouvelles de Lagneau depuis plusieurs jours. C’est que Lagneau te donne régulièrement de ses nouvelles, maintenant ? je lui dis en ricanant. T’es con, qu’elle me répond. Et de me raconter qu’elle l’a invité à l’opéra (c’est sûr, elle ne m’y aurait pas traîné) et lui ensuite au restau. Si ça se trouve, ils ont couché ensemble, mais ça je ne l’ai pas suggéré, j’ai eu peur de sa réaction. Et puis elle me paraissait vraiment inquiète, ce qui n’est pas vraiment son genre. Elle m’a raconté qu’il devait descendre dans l’Indre, pour retrouver la trace de Réginal, l’une des victimes potentielles de notre assassin tourangeau. Lagneau a pris pension à Argenton, il l’a appelé de là-bas mardi dernier et depuis plus rien.

Que veux-tu qu’on y fasse ? j’ai dit encore.

Et là, elle m’a viré tous les draps du pieu, en se foutant bien que j’étais à poil là-dessous. Debout, gauchiste de mes deux, elle a dit, on va aller y voir, voilà ce qu’on va faire !

Et c’est comme ça que je me suis retrouvé au volant de la Simca 1000 de Philippe Ravillon qu’il a bien voulu nous prêter en échange d’une boulette de shit, ma dernière, bordel, ce qui fait que je pars demain chez ces arriérés de Berrichons sans rien pour enjoliver le quotidien.

 

Mercredi 15, Argenton-sur-Creuse

 

Cette Simca est une merde, on est tombés en panne au Grand-Pressigny, le temps de réparer, ce n’est qu’à la nuit qu’on est arrivés à Argenton. Hôtel du Cheval Noir, c’est là qu’il avait pris une chambre, notre inspecteur chéri. Sauf qu’on a nous a dit que quelqu’un était venu récupérer ses affaires et payer ses nuitées, un type pas tout jeune avec une casquette grise et un collier de barbe. On est bien avancés. Isa a demandé sa chambre. Manque de bol, elle était déjà prise. De toute façon, je ne vois pas en quoi ça nous aurait servi. On n’avait pas les moyens de prendre deux piaules, l’idée de partager la couche d’Isa me fait bien plaisir.

Quand elle m’a vu écrire ces lignes le soir, elle s’est étonnée : “Tu tiens un journal maintenant ? Depuis quand ?”

Quinze jours, j’ai répondu. C’est après avoir lu les Mémoires d’un révolutionnaire de Victor Serge. ça m’a donné l’envie de m’y mettre.

Elle a rien dit de plus, juste souri en coin. Elle avait emporté un petit magnéto à cassettes, on a écouté Jimi Hendrix, et puis elle s’est endormie d’un coup, le corps perdu dans un pyjama trop grand. Moi, j’ai peiné à trouver le sommeil, je sais pas pourquoi.

 

Jeudi 16, Argenton (j’ai écrit ces lignes bien plus tard, en essayant de reconstituer les événements de cette semaine).

 

La garce m’a encore tiré du pieu à pas d’heure. Même pas dix heures. Et une heure plus tard, on était sur le bord de la rivière, la Creuse, qui roulait des flots sombres après les pluies des dernières semaines. Il caillait trop, on s’est réfugiés dans un bar PMU. Il n’y avait plus rien à faire, qu’à remonter à Tours si la Simca le voulait bien. Je voyais bien qu’Isa ça l‘enchantait pas, elle décrochait plus un mot, morose en tournant sa cuillère dans son café noir. Et puis tout à coup, elle s’est mise à regarder fixement la grande glace à laquelle je tournais le dos. S’est ensuite penché sur moi en me chuchotant :”C’est lui, le gros type sur la table à côté de l’entrée, plongé dans Paris-Turf ou un truc comme ça.” “Qui, lui ?” j’ai demandé. “Bougrin, elle m’a susurré, le commissaire Bougrin, le supérieur de Lagneau. Je l’ai vu à l’enterrement de son père. Il n’y a pas fait de vieux os, mais il est venu, pour la forme, impossible d’oublier cette tronche de salopard.”

Qu’est-ce qu’il foutait à Argenton, Bougrin ? A la recherche aussi de Lagneau ? J’ai failli aller lui demander, elle m’a arrêté. On va le suivre, qu’elle m’a dit. Et ça, ça a vraiment été le début des grosses emmerdes.

Imaginez une Simca 1000 suivant une Mercedes 250 SE flambant neuve, moteur six cylindres à 2,5 litres, 170 chevaux sous le capot. Heureusement que les routes berrichonnes sont encombrées plus souvent qu’à leur tour de troupeaux de vaches changeant de pâtures, tranquille mimile, sinon on aurait perdu le contact.

Le Bougrin a tourné sur une petite route à peine carrossable, et on a jugé plus prudent de le laisser filer et d’aller se garer un peu plus loin. Isa avait pris la précaution de se munir d’une carte d’état-major de la région. Elle indiquait une ferme au bout de la route, Le Repaire, c’était presque trop beau pour être vrai. Un grand bois jouxtait la ferme, on a décidé de le traverser pour s’y rendre. Je commençais à me sentir dans la peau d’un guérillero, mais j’avais un peu les foies aussi.

C’était humide là-dedans, ça vous tombait dans le cou, on enfonçait dans le tapis de feuilles mortes, je regrettais de pas avoir emporté le pistolet de l’oncle René, un pistolet d’alarme d’accord mais ça m’aurait rassuré.

“Et s’il y a des chiens ?”, j’ai dit. “On dira qu’on est à la recherche de champignons.”

C’était pas très crédible. De toute façon, on n’a pas eu à s’expliquer, il n’y avait pas de chien mais on s’est fait gauler alors qu’on se planquait dans la grange à foin. Par une sorte de fenestron, on a vu trois types dans la cour en train de charger un camion Saviem, de grandes et longues caisses, lourdes apparemment, puis par là-dessus ils ont chargé des sacs de grains, comme pour dissimuler les caisses. Parmi les trois types, il y avait Collier de barbe. On a juste vu Bougrin un instant, pas mis la main à la pâte l’enfoiré. L’affaire a duré presque deux heures, assez longtemps pour que le nez commence à me piquer. Le foin, j’ai jamais supporté, je suis allergique, je suis un gosse du pavé et de la brique, moi. Le camion avait pas plus tôt passé la barrière de la cour que j’ai éternué violemment. Collier de barbe s’est figé sur place. Il est rentré calmement dans la maison d’habitation et en est ressorti avec un molosse. Un machin avec plein de bave dégoulinante et une tête de monstre. Qui n’a pas mis longtemps à nous repérer.

C’est comme ça qu’on s’est retrouvés à la cave. Et à la cave, il y en avait un autre, bien ficelé comme nous : Lagneau. Les salauds l’avaient bien arrangé.

 

Vendredi 17, Le Repaire

 

Ils m’ont fait sortir de la cave. Collier de barbe, Réginal c’est son vrai nom, m’a giflé pour m’apprendre à vivre, qu’il a dit. J’avais pas à fourrer mon sale groin dans les affaires des autres, j’allais le payer cher. Il allait m’accompagner pour récupérer la Simca et si jamais je déconnais c’est sur la gamine qu’il allait se venger. Evidemment j’ai rien tenté. mais la Simca, qui avait passé la nuit près du bois, a rien voulu savoir. Pour une fois, je l’ai bénie, au moins elle, elle faisait de la résistance.

Isa s’est occupée de Lagneau comme elle a pu. Il avait plusieurs dents de pétées, une côte ou deux enfoncées. Bougrin est descendu le soir, nous a traités de fouille-merde et d’autres noms pas très jolis. Je crois qu’ils ne savent pas trop quoi faire de nous.

 

Samedi 18, Le Repaire

 

Ils nous ont donné à bouffer, une sorte de ragougnasse dont un chien aurait pas voulu. Et puis deux couvertures. On est frigorifiés. Collier de barbe a longuement regardé Isa, il a même voulu la caresser. Elle lui a craché dessus et il l’a giflé. Bougrin s’est pointé par là-dessus et lui a donné l’ordre de remonter. “ Tu perds rien pour attendre, toi, la salope,” il a dit dans sa barbe. Ce type me fait peur. J’ai eu une crise de larmes, cette cave c’était encore pire que la tôle. Lagneau et Isa m’ont consolé. Tant qu'y'a de la vie, y’a de l’espoir. Mais moi j’y crois plus, ces furieux vont nous descendre, c’est sûr.

 

Dimanche 19, Le Repaire

 

J’ai entendu la Simca 1000. Réginal a dû la réparer. Elle tourne comme jamais elle a tourné. Ils sont venus nous chercher. Dans la cuisine, la radio tournait en sourdine. C’est bon d’écouter des nouvelles du monde quand vous êtes enfermés depuis trois jours. Sur le Mont Ventoux, on venait d’enregistrer une vitesse de vent à 320 km/h. Un record. Et puis Réginal a éteint le poste. “Vous deux, il a dit à Isa et moi, vous allez pouvoir reprendre votre saloperie de bagnole. Deux jours qu’il m’a fallu pour la remettre en route, vraiment de la merde”. Là, je lui ai dit que j’étais d’accord avec lui. Il m’a claqué une mandale et m’a dit de la fermer. “ Oui, vous allez remonter dans la caisse, je vous emmène pour une petite excursion. C’est joli, Le Berry.” J’avais du sang dans la bouche et je crois bien que ce n’était qu’un acompte sur ce qui allait suivre. Bougrin a enchaîné : “Toi, Lagneau, tu restes avec moi, fini les congés, tu vas reprendre du service.” Et ils se sont mis à ricaner comme des bossus. Lagneau, il était livide, il souffrait trop rapport à ses côtes, on sentait qu’il avait juste envie d’en finir et que les autres allaient sûrement lui rendre ce service.

 

Et puis on a entendu un klaxon, un klaxon puissant, une vraie corne de brume. Le monstre, qui passait la majeure partie de son temps dans la porcherie, a aboyé. “C’est quoi, ce bordel ?” a dit Réginal. Il a jeté un oeil dans la cour, en écartant un des rideaux jaunis de la fenêtre.

“Qu’est-ce qui fout là, ce Barbe-Bleue ?”

Barbe-Bleue, c’est une marque de vêtements qui fait de la vente itinérante dans les campagnes. De la came solide, les culs-terreux en redemandent.

Nouveau coup de klaxon. C’était pas le Ventoux dehors mais il y avait quand même quelques belles bourrasques.

“Je vais te foutre ça à la porte, moi” a hurlé Bougrin. Et il s’est rué dehors.

C’est là que Réginal a frémi : “Putain, mais on est dimanche, ils passent tout de même pas le dimanche les Barbe-Bleue”.

Trop tard. Il y a eu une décharge de mitraillette. Un grand cri de douleur. Et le bruit d’un corps qui s’écrase dans la gadoue de la cour.

Réginal avait compris.

Le Stéphanois avait retrouvé sa trace.

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12 novembre 2017 7 12 /11 /novembre /2017 07:07

Lagneau était descendu à l’hôtel du Cheval Noir, un ancien relais de poste à Argenton-sur-Creuse. Frigorifié. Il avait passé son mardi à planquer devant la poste de Bouesse, dans la 404 de location qu’Isabelle lui avait dénichée la veille chez un garagiste ami de son père. Foutue cambrousse : un vent aigre balayait la place, dénudant les grands arbres qui cernaient l’entrée du château médiéval au centre du village. De Réginal, il n’avait qu’une mauvaise photo prise en Algérie, où il posait avec une poignée d‘officiers dans le jardin d’une villa cossue, tous hilares pour une raison inconnue. Mais il avait eu beau scruter tous les usagers de la poste qui y rentrèrent ce jour-là, aucun ne ressemblait à ce grand échalas aux yeux très enfoncés sous l’arcade, au long nez légèrement tordu et à la bouche amputée de quelques éléments. Pour sûr ce n’était pas Delon, rien à voir avec le Stéphanois. La journée avait donc passé en vain, et il n’était pas exclu que le lendemain ne soit pas du même tonneau. Si Réginal ne venait, disons, qu’une fois par semaine relever son courrier, autant dire qu’il était refait : il ne se voyait pas en faction toute la semaine, d’autant plus que la 404 ne pouvait pas passer inaperçue. On finirait par s’inquiéter de le voir tous les jours attendre dieu sait quoi, et les pandores pouvaient être appelés, et, sans mission officielle, il n’avait pas trop envie de voir rappliquer ces cons-là.

 

Il dîna sommairement à l’hôtel puis gagna la rivière qu’on atteignait par de petites ruelles qu’on appelait ici des aribouts. Sur les murs, des marques indiquaient les hauteurs invraisemblables de la crue de 1960. La Creuse. Il aimait ce nom-là. La Creuse, la Seine, ce sont déesses depuis des millénaires, tour à tour amicales et guerrières, salvatrices et meurtrières. Il aimait en respirer les odeurs, se gaver d’écume et de courants, garder en mémoire pour les nuits en lisière d’insomnie les grondements inexpiables. Il ne manquait à ses côtés ce soir-là qu’une présence féminine, comme l’autre jour près de la Loire, mais ce ne pouvait pas être Noël tous les jours, comme aurait dit son père.

Le mercredi matin ne fut pas moins vide. Aussi s’enhardit-il à entrer dans le bureau de poste, où il demanda à voir le receveur. Après avoir décliné son identité de poulet en maraude, il montra la photo de Réginal.

 

-“Vous avez déjà vu cet homme ? Il se fait expédier du courrier poste restante, ici chez vous, un certain Ternisien (c’était le nom donné par le télégramme de Bougrin)

L’homme fit la moue et rendit vite le cliché.

- Non, je ne vois pas. Mais je ne suis pas souvent au guichet, vous savez, il vaudrait mieux demander à Josette.

- Josette ?

- Oui, Josette. Elle connaît tout le monde. Rien ne lui échappe, malheureusement, devrais-je dire parfois. Si ce type est passé par ici, elle s’en souviendra.

Deux minutes plus tard, Josette, dûment appelé au bureau du receveur, avait la photo sous les yeux.

- Ça me dit vaguement quèque chose, mais je suis sûr de rin.

- Il a peut-être laissé pousser sa barbe ou une moustache. C’est la mode en ce moment. Essayez de l’imaginer avec une barbe, tiens !

- J’voudrais vous y voir. Si vous croyez qu’c’est facile !

- Allons, Josette, soyez coopérative, insista le receveur.

Josette bougonna.

- Non, j’vois pas, j’suis désolée, mais j’vois pas !

- Enfin, vous avez bien vu ce nom-là déjà, Ternisien ?

- Oui, mais impossible de mettre un visage par-dessus… Je vous jure, c’est pas mauvaise volonté.

Lagneau découragé se laissa tomber sur une chaise paillée. Il fit un geste qui signifiait le congé de Josette, que le receveur répliqua aussitôt.

Elle allait passer la porte lorsque soudain elle la referma brutalement.

Le visage empourpré par une émotion fulgurante. Lagneau s’était relevé instinctivement.

- Il est là !

- Comment ça, il est là ? dit le receveur.

- Là, j’vous dis, le gars de la photo. En le voyant en vrai c’est d’venu évident, ça ne peut être que lui.

- Calmez-vous et rentrez tranquillement. Vous n’avez rien à craindre. Je recherche ce type-là, mais ce n’est pas un assassin. (Il n’était pas trop de lui sur cette dernière affirmation).

Réginal arborait un fin collier de barbe et une casquette grise. Il récupéra une lettre et un petit colis. Il sortit tranquillement, s’arrêtant tout de même sur la marche du seuil et prenant le temps de scruter les alentours, regard circulaire du type habitué à décrypter les illusions optiques du djebel.

C’est tout juste si le receveur ne s’était pas glissé sous son bureau. II en avait le souffle coupé. Lagneau mit son doigt sur la bouche puis montra une porte dans le fond du bureau.

- C’est une sortie ?

- Oui, murmura le receveur.

 

Lagneau se glissa à l’extérieur. Un petit jardinet, une grille verte et il se retrouva sur la rue. Réginal s’apprêtait déjà à remonter dans sa voiture. Une ID 19 bordeaux.

Lagneau n’avait qu’une crainte : que cette foutue 404, qui avait démarré avec difficulté ce matin-là au sortir de l’hôtel, ne lui claque dans les doigts. Mais ce ne fut pas le cas, il prit la filature de l’ID19, cent vingt mètres derrière, une Dauphine bleue intercalée. Après quelques kilomètres sur la grand route, Réginal obliqua à gauche vers Chavin, puis prit plusieurs petites routes qui obligèrent Lagneau à suivre de plus près pour ne pas perdre le contact. Enfin, la voiture bordeaux emprunta une étroite vicinale où l’herbe poussait au milieu du gravillon. Une pancarte indiquait Le Repaire. Lagneau pensa une fois de plus qu’il n’y avait pas de hasard.

Il laissa la 404 un peu plus loin et continua à pied. Une ferme isolée se dressait sur une éminence, adossé à un grand bois assailli de corneilles. il s’en rapprocha en longeant un pré humide, à l’abri d’une de ces haies vives que les berrichons nomment bouchures. Il contourna une vaste grange et lorgna vers la cour où l’ID 19 côtoyait maintenant un lourd camion Saviem. Pas de clebs apparemment, cela valait mieux pour lui. Il décida de pénétrer dans la grange pour mieux observer le corps de logis principal.

La longue allée des étables sentait encore la paille et le foin, mais elle était obstruée par un empilement recouvert d’une toile de tente de l’armée. Il en souleva un coin. Des caisses. Des dizaines de caisses. Et à travers les fentes des caisses, l’éclat métallique des armes de guerre.

La douleur comme un éclair. Le crâne comme une boîte trop étroite pour le cerveau qui semble se fendre de toutes parts. Il n’en vit pas plus.

 

Quand il se réveilla, Mireille Darc chantait “Où est mon zèbre ?” dans le poste de télévision. C’était Dim, dam, dom, l'émission du dimanche.

Télé couleur. Comme Bougrin. On se refuse rien.

Il avait les mains liées dans le dos, et un bâillon sur le museau.

- Je vous avais prévenu, Lagneau, cette affaire n’était plus pour vous.

Bougrin ? Oui, c’était la voix de Bougrin.

Et maintenant c’était Jimi Hendrix. Isabelle devait être en train de regarder.

- Il faut liquider cette enflure, il en sait trop.

Cette voix de crécelle. Ce devait être Réginal.

- Allons, Joseph, du calme. Lagneau n’est pas un idiot, il va comprendre où va son intérêt. On peut trouver des compromis. N’est-ce pas, Lagneau ? (Et il lui arrache brutalement le baîllon).

- Vous pouvez crever…

Il a lâché ça dans un murmure. Le bruit sinistre d’un poing américain sur les os de la face.

Il ne verra pas la fin de l'émission.

Consolation, c’était Mireille Mathieu.

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5 novembre 2017 7 05 /11 /novembre /2017 07:07

- Alors, ça vous a plu ?

Isabelle Deville était assez fière d’elle. Inviter Lagneau à l’opéra de Tours, pour Le silence de la mer, livret d’Henri Tomasi d’après le roman de Vercors, c’était bien joué.

- C’était magnifique. Je ne sais comment vous remercier. Je croyais que vous n’aimiez que ces musiques bruyantes, votre Jimi Electrix, vos Biteulles…

- Ne soyez pas désagréable, inspecteur, j’aime beaucoup de choses très différentes, j’avais envie de vous faire plaisir, c’est tout, et de vous montrer qu’à Tours aussi nous avons de beaux monuments et de la belle musique qui n’a rien à envier à la capitale.

Elle était magnifique aussi, dans une robe rouge carmin aux reflets moirés, et ses cheveux blonds serrés dans un chignon savant qui lui rappelait celui de Kim Novak dans le Vertigo du vieil Hitchcock. Il avait un mal de chien à ne pas laisser son regard se perdre dans le décolleté plongeant qui  mettait si bien en valeur la poitrine fastueuse.

Il l’invita à dîner, il ne pouvait faire moins, et ils se retrouvèrent dans un restau discret des bords de Loire.

Il  lui demanda où est-ce qu’il pouvait louer une voiture.

- Vous ne repartez pas par le train ?

- Non, j’ai besoin d’une voiture, je descends dans le Berry pour notre affaire.

- Vous avez… du nouveau… ?

Elle hésitait un peu à le questionner, mais c’était plus fort qu’elle, cette histoire la passionnait, et elle n’était pas sans savoir qu’elle était devenue au fil des mois, sans que rien ne fut formellement déclaré, une sorte de confidente pour Lagneau.

Il la regarda longuement, oui, il y avait un peu de Kim Novak chez cette fille, les bougies posées sur la table d’à côté éclairaient son beau visage franc et régulier, le doux duvet blond qui frémissait sur sa nuque.

Réginal est là-bas, planqué sous un autre blaze. Je reste persuadé que Le Stéphanois ne renoncera pas à lui faire la peau comme aux autres, pour une raison que j’ignore toujours. A la limite, je m’en tape qu’il refroidisse ce salopard, mais c’est ma seule piste pour retrouver Lili.

- Bougrin vous a dessaisi de l’affaire, non ?

- Exact. Et plus que jamais quand je lui ai dit que j’avais retrouvé la piste de Réginal. Il m’a passé un savon et collé sur un autre dossier, histoire de faire diversion. Mais, comme je le subodorais, il n’a pas manqué de prévenir Réginal.

- Les deux se connaissent ?

- C’est ce que j’ai fini par comprendre. Déjà j’avais trouvé suspect l’attitude de Bougrin au moment de l’épisode Marcabru. Il ne m’avait pas transmis des informations essentielles. J’ai un peu enquêté sur sa pomme : en réalité, il est très lié au SAC.

- Le SAC ?

- Service d’Action Civique, la police parallèle de De Gaulle, une milice secrète qui n’a pas recruté que des enfants de choeur. Ce serait un peu long de vous détailler tout ça, ce qu’il faut savoir c’est que Bougrin a travaillé à retourner certains membres de l’OAS pour mettre fin à ses activités. Parmi eux, je soupçonne fort Marcabru et Réginal.

- Pourquoi lui avoir dit alors que vous étiez sur sa piste ? C’est pour le moins imprudent, non ?

- Oui et non. En lui confiant ça, je laissais croire  que j’étais ignorant de leur collusion. Et puis j’avais bon espoir qu’il l’informe rapidement qu’un policier un peu trop curieux était sur ses traces.

Il fit une pause, le Saint-Nicolas de Bourgueil brillait sourdement sur la nappe damassée, il en remplit les deux verres. C’était elle qui avait choisi la bouteille, lui ne connaissait guère que le beaujolpif et d’ailleurs préférait la bière.

- Vous ménagez vos effets, inspecteur, reprit-elle. Allez, ne me faites pas languir.

Elle s’était penchée vers lui pour achever sa phrase, et son parfum avait affolé toutes ses synapses, c’était comme de l’agent orange sur une rizière, encore un ou deux passages comme ça et adieu Lagneau, bon pour le cabanon.

- J’ai fait le pari que mon commissaire enverrait un télégramme à Réginal. Le bougre est un radin fini, je suis certain qu’il n’a pas le téléphone. Trop cher. Il se trouve que le bureau de poste le plus proche de l’appart de Bougrin est dirigé par un ami à moi, un copain de la Communale. Ça n’a pas loupé, le lendemain de mon annonce, Bougrin lançait l’alerte et expédiait le télégramme en termes cryptés, mais le message était clair : méfie-toi, police sur tes talons.

- Pourquoi une telle méfiance ? Après tout, Réginal n’est accusé de rien. Il pourrait bénéficier de la protection de la police, après les assassinats de ses amis.

- Exact encore une fois. C’est un autre élément de mystère que je ne m’explique pas.

- Alors j’imagine que vous avez l’adresse ?

- Non pas, Réginal est prudent, le télégramme a été expédié à Bouesse, poste restante.

- Bouesse ?

Un obscur patelin en Berry, pas bien loin d’Argenton-sur-Creuse d’où il a envoyé son message à Bagnoli.

- Donc vous allez…

- … A Bouesse. J’ai posé des jours que je devais récupérer avant la fin de l’année. J’ai une petite quinzaine devant moi. Je vous emmène ?

Il avait dit ça dans la foulée, sans réfléchir, et soudain il réalisait que c’était son subconscient qui avait parlé, l’avait débordé sur sa gauche et affiché clairement, trop clairement, pensait-il maintenant, son propre désir.

Elle sourit. Reprit une lampée de Saint-Nicolas, c’était son tour de tergiverser.

- Désolé, inspecteur, je dois aller en reportage au Palais des Sports de Paris, où Johnny Halliday doit se produire bientôt.

- Oui, je vois, l’Opéra c’était exceptionnel, vous revenez à vos braillards.

- Et puis vous savez, moi, la campagne...

- Pareil pour moi, remarquez. La cambrousse, j’ai jamais pu comprendre qu’on puisse vouloir y vivre.

Ils trinquèrent en éclatant de rire.

Il commanda une seconde boutanche. La nuit ne faisait que commencer.

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29 octobre 2017 7 29 /10 /octobre /2017 07:07

L’immense banyan élève au sommet de la colline ses branches de cendre : autour de son ombre autrefois protectrice s’étendait l’ancien village dont ne subsistent que les empreintes sombres des maisons de bois, les cercles noirs des pilotis vaporisés dans l’azur. On ne vient plus ici que pour prier dans le petit oratoire fiché entre deux racines géantes de l’arbre sacré : Onesa y déposa un petit bouquet de fleurs rouges, dont l’éclat fendit l’omniprésente grisaille du paysage. Il lui demanda ce qui s’était passé ici, elle montra le ciel puis tendit ses bras à l’horizontale, imitant le vol d’un gros oiseau qu’il sut d’instinct de zinc et d’acier. Il ne comprit rien des mots qu’elle employa mais ce n’était pas très difficile à deviner : les Français dans les années 50 n’avaient pas attendu les Américains pour user de bombes incendiaires au napalm, et le Laos, où se réfugiait le Viet-Minh, était une cible comme une autre.

 

Ce devait être l’éden ici, pensait-il, avant le jour fatidique où les B-26 avaient lâché leurs provisions de mort. Depuis, le village avait été abandonné, les rescapés en avaient reconstruit un autre, à quelques miles de celui-ci, sur un affluent du ruisseau qui dévalait ces pentes. Onesa prit Jim par la main, il fallait manifestement quitter les lieux au plus vite et il se demanda devant son insistance si elle n’avait pas, en le menant jusqu’ici, enfreint un tabou. Le lendemain, il sentit encore plus d’hostilité que d’habitude dans le regard de certains paysans, et Onesa ne parut plus chez la vieille guérisseuse qui continuait de l’héberger.

 

Une nuit, alors qu’un orage noyait les sentes de terre ocre et balafrait le ciel d’éclairs d’une blancheur de suaire, le chef du village accompagné de trois autres hommes pénétra dans l’étroite maison. L’un d’entre eux parlait un anglais très approximatif et tentait de traduire tant bien que mal les paroles que le chef débitait d’un ton martial. Jim crut comprendre qu’un autre Blanc avait été recueilli des années plus tôt, et que la catastrophe était survenue pendant son séjour. On ne voulait pas revivre ça, d’autres avions avaient été aperçus ces derniers temps et l’oiseau de mauvais augure, le coucou qu’il était, devait partir : c’est du moins ce qu’il comprenait.

 

Le silence se fit, la vieille avait sorti une bouteille d’alcool de riz que les villageois se firent passer rapidement, ils attendaient maintenant, il ne savait quoi, jusqu’à ce que la vieille encore elle ne dépose devant lui un sac de toile grise, une sorte de besace dont il comprit aussitôt qu’il était comme son cadeau d’adieu : il devait partir oui, mais tout de suite, là, dans la nuit troublée par tous les génies du ciel et de l’enfer. il pensa à Onesa, il aurait voulu la revoir, lui dire adieu. Il ne savait comment le dire, il renonça. Se leva, salua celle qui l’avait sauvé, puis les quatre hommes qui demeuraient graves et silencieux.

 

A la lueur de la foudre, il traça son chemin, rapidement trempé par la pluie torrentielle qui s’éboulait dans la nuit. On lui avait, quelques jours plus tôt, désigné la direction de la frontière, il l’atteindrait, rejoindrait l’armée U.S. Ces gens avaient pris des risques pour lui, ils avaient eu raison de le remettre sur la piste, il ne leur en voulait pas, surtout pas. Mais pourrait-il un jour raconter tout ça, à Elisa, à ses nièces, sa tante, à son connard de beau-frère ?

 

De l’autre côté du monde, un acteur français célèbre qui avait fait la guerre d’Indochine interprète Pierre Lagrange, un soldat de retour d’Algérie, rendu amnésique par un accident de voiture provoqué par une femme meurtrière de son mari. Julien Duvivier, le réalisateur de ce film nommé Diaboliquement vôtre, meurt ce même jour, victime lui aussi d’un accident de voiture.

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23 octobre 2017 1 23 /10 /octobre /2017 18:11

Hier, j'ai reçu de la part de l'ami Sergueï, des nouvelles du Baroudeur, le bougre va une fois de plus hanter la Thaïlande :

"Cher jeune Patrick Petrovitch,

 J'ai eu à recueillir LE BAROUDEUR avant son départ pour l'Asie." Je pars pour renforcer le rayonnement de la Tasonnerie dans le monde", m'a-t-il confié, la gorge nouée. Mes yeux s'embuaient d'admiration, reconnaissant cette alacrité qui anime le baroudeur.

Je ne pouvais que l'aider humblement dans sa noble mission, chère à nous tous, en l'emmenant à la gare de Châteauroux. Il roulait de lourds bagages sur les nids de poule castelroussins. Il n'y voit goutte et ne les éviterait pas, de toute façon.

" J'ai droit à un bagage de  40kg", me dit-il fièrement, "je ne vais pas me priver". Il emportait notamment son propre ouvrage de plantes médicinales écrit en anglais-lao et pas mal d'ustensiles de cuisine. Dépassait de son bagage sa dernière invention : le filet à éléphant ; " personne n'y a encore pensé", dit-il.

 Dans sa pochette placée sur son torse velu, il avait mis sa clef usb contenant la version numérisée de la Hulotte sur le Castor. Je l'ai regardé interdit, mais je me gardai de lui demander s'il était sûr que des castors vivaient en Thaïlande. Le Baroudeur sait des choses que nous ne savons pas.

Auparavant, je lui avait offert un thé qui réchauffe les voyageurs en partance.

Sur la table, il a posé sa tasse bruyamment. Son oeil s'est arrondi. Il regardait fixement les noix de ma récolte qui séchaient et soudain, le Baroudeur s'est mis à pleurer. Il beuglait que lui, sous ces climats, il ne pourrait pas en manger de l'hiver car ça ne poussait pas là-bas, et qu'il allait avoir le mal du pays. Je lui en ai donné une poignée. Il a continué d'une voix plus assurée : "que rapport aux 40 kg, je pouvais en rajouter, et puis que les thaïs ne connaissaient pas les noix et que ça leur ferait plaisir, et qu'il leur apprendrait à les casser". Il me les brisait menu, le baroudeur. Mes épaules sont un peu retombées et j'ai plongé les mains dans le cageot. J'ai gonflé le sac.

 D'un air entendu, comme pour me remercier, il me dit que son sac contenait aussi le manuel des castors juniors : là, tout à coup, j'ai compris, le coup du filet à éléphant.

 Il est monté dans le train. J'ai pris ces 3 photos. Il s'est emparé de l'étiquette de son wagon pour la pose. C'était le Nombre 7, l'heptagone ! l'étoile à sept branches, l'imprégnation du quaternaire matériel par la trinité : Quatre et trois, sept...  C'est au développement de la pellicule que j'ai compris : Le Baroudeur..., sur sa tête s'est posée l'auréole.

 Alors, je me suis dit que l'étude des bouses d'éléphant en Thaïlande et la tasonnerie, n'étaient qu'une couverture.

Sergueï T."

Vous remarquerez que l'ami Sergueï développe encore ses pellicules... J'aurais pourtant juré que c'était une photo numérique...

 

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22 octobre 2017 7 22 /10 /octobre /2017 07:07

Tu le sais, tu n’aurais pas dû y aller, c’était trop risqué, mais voilà, être à Lyon juste au moment du derby c’était trop de frustration de rater ça, tu t’es dit que c’était la dernière fois, la dernière fois que tu vivrais la chaleur, le bouillonnement d’un stade, tu pouvais te faire ce cadeau, cet ultime cadeau, et puis voilà, l’impensable est arrivé, dans la tribune des Lyonnais, à quinze mètres en dessous, Jojo, Joël Lambert, le petit Jojo, ton pote Jojo, le gentil et pas très costaud Jojo, mais bordel, qu’est-ce qu’il foutait là ? loin des copains, près des ennemis jurés, ah il la ramenait pas c’est sûr, il l’avait planquée son écharpe verte, il t’a reconnu ça aussi c’est sûr, tu l’as vu dans son regard, ahuri tout d’abord, il n’y croyait pas, comment ça, Félix ici à Lyon, Félix disparu depuis tant d’années, mais oui c’est bien lui, tu l’as vu l’éclair dans ses yeux, et le sourire qui s’est peint aussi sec sur sa figure, cette bonne pâte de Jojo s’il avait pu il aurait couru se jeter dans tes bras, heureusement c’était bondé, il pouvait pas briser les rangs pour te rejoindre, il se serait fait casser en deux, alors il a pris son mal en patience, il a regardé le match sans oublier de tourner la tête vers toi de temps à autre, histoire de vérifier encore et encore le miracle, alors tu t’es carapaté un peu avant la mi-temps, juste au moment où Bosquier a marqué contre son camp, et ce moment-là c’était donc le désastre partout, sur la pelouse, et dans ta tête, et dans tes tripes, tu l’as laissé là, Jojo, et tu l’imaginais déjà en train de raconter son histoire aux autres, puisque je vous ai dit que je l’ai vu, Féfé, et les autres bien sûr ne le croiront pas, et se foutront de sa gueule.

 

A Lyon, tu y étais pour Réginal, le dernier salopard à liquider, le seul dont tu ne savais encore pas où il pouvait bien s’être retiré. Dire que c’est avec lui que tout avait vraiment commencé, c’est à Lyon que tu l’avais croisé, quasiment par hasard - mais y a-t-il vraiment du hasard dans le monde ? -, à la Croix-Rousse, en 1956. Il ne savait rien de ce que tu avais vécu les dernières années, il était surpris de te voir car il te croyait mort après l’attaque du fortin de Chu-Ban, il se souvenait juste de toi parce qu’il t’avait vu jouer dans l’équipe de ton régiment, quel dribbleur nom de dieu, tu leur avais bien mis au cul aux cons d’en face, il t’a raconté ses exploits, fier d’avoir défoncé du Viet, t’avais juste à écouter et c’est là qu’à un moment il en a dit un peu trop et tu as su, pour le village, pour elle. Et là, tu t’es mis à trembler, alors que tu rêvais de le planter sur place, mais cette foutue fièvre t’a englouti l’intérieur, tu t’es mis à vomir, c’était parti pour plusieurs jours de délire. Et bien sûr, il t’avait abandonné là, aux bons soins du populo de passage, te laissant même la note des verres de pinard. Il te l’avait dit : il s’embarquait pour l’Algérie, il y avait du taf là-bas. Pas de temps à perdre avec des fantômes.

 

C’est donc à Lyon que tu avais essayé de retrouver sa piste. Il avait débarqué là après Dien Bien Phû, mais il ne t’avait pas donné d’adresse. Tu as arpenté la Croix-Rousse de long en large, pas une traboule que tu n’aies traversée, essayant de te persuader que si tu l’avais croisé dans ce quartier c’est sans doute qu’il y habitait. Mais personne ne se souvenait de lui, d’un grand sec à la gueule un peu en biais, les chicots un peu en déroute. Tu avais approché le milieu des anciens d’Indo, prudemment, mais rien là non plus n’avait filtré. Pour Marcabru, rien n’indiquait qu’il s’était joint à la sombre équipe qui avait essayé de te faire la peau. Tu l’aurais reconnu. Non, il avait gagné son repaire, sa tanière puante de loup solitaire.

 

A la télévision que tu regardais dans ce bel hôtel de la place Bellecour que tu avais choisi avec soin, il y avait un homme qui lui ressemblait vaguement, c’était un peintre du nom de Bram Van Velde, tu ne le connaissais pas bien sûr, d’ailleurs tu n’étais pas le seul car le journaliste disait : “Il vous a fallu 50 ans pour être reconnu. Est-ce que vous avez connu des moments de découragements ?” La bonne question. Et maintenant on le comparait à Picasso et à Braque. C’était à se flinguer.

Il n’y avait aucun rapport, du moins en apparence, mais soudain tu as pensé que lui, Réginal,  devait forcément toucher une pension : Indochine, Algérie, l’Armée devait cracher grassement pour le lascar. S’il était assez pingre pour ne même pas régler une petite addition de comptoir, il n’avait pas dû renoncer aux subsides de l’Etat. Donc, dans un bureau quelconque devait exister l’adresse d’expédition à ce fumier. Restait à s’introduire dans ce fichu bureau, perdu sans doute dans le labyrinthe de l’administration militaire. Mais la traque des généraux t’avait entraîné à ce petit jeu des institutions de la grande Muette. Ce n’était plus qu’une question de temps.

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15 octobre 2017 7 15 /10 /octobre /2017 07:07

Puisque je vous dis que je l’ai vu, bordel !

 

C’est ça mon Jojo ! Trop bu de jaja mon Jojo !

 

Ils rigolaient tous comme des baleines, toute la bande du quartier du Marais à Saint-Etienne, retour de match au bar de la place Carnot, bien sûr on n’avait pas gagné ce foutu derby avec l’O.L., on avait même eu les glandes quand Bosquier avait marqué contre son camp juste avant la mi-temps, 1à 0, ces enfoirés de gones en pissaient dans leur froc, trop contents, mais la pisse a pas eu le temps de sécher, Herbin une minute plus tard a mis la balle au fond, égalité et c’est pas allé plus loin. N’empêche qu’avec ce résultat de la dizième journée on est premiers du championnat. Lyon peut se brosser.

Et l’autre, là, Jojo, qui raconte qu’il a vu Félix Bérenger !

 

Félix, Féfé, notre pote, un sacré ailier, rapide, adroit, solide, des jambes de feu, sûr qu’il aurait pu faire  un bon professionnel s’il s’était pas engagé dans l’Armée en 47. Là-dessus l’Indochine, et un beau jour plus de nouvelles. Il a dû se faire dézinguer, comme Rouland, Wozsniak, Marino, on en connaît que trop des copains qui sont jamais revenus.

Et Jojo qui n’en démordait pas.

 

Merde, j’avais rien bu, j’étais en retard, j’ai pas pu aller vous rejoindre à la tribune habituelle, j’ai dû me foutre avec les autres cons.

 

T’as pas dû ramener ta fraise, les patates au fond du filet tu devais avoir !

(Nouvelle rafale de ricanements, suivie d’une rafale de pastis pour faire bonne mesure).

Vous êtes encore plus cons que je pensais… En tout cas, c’est là que je l’ai aperçu, un peu au-dessus de moi, à quinze mètres à peine il était, il a vieilli mais je l’ai bien reconnu, un peu buriné mais toujours beau gosse, ah oui, j’en mettrais ma main au feu, c’était lui.

 

Chaupin s’est levé, furieux.

Et pourquoi, tête de noeud, il serait pas venu dans notre tribune si c’était lui ? Les Lyonnais, il pouvait pas les piffer, combien de fois on s’est mis sur la gueule, et il était pas le dernier.

J’en sais rien, mais c’était lui, je vous jure.

Et pourquoi que t’as pas été le voir, alors ?

C’était mon idée, je voulais en avoir le coeur net quand même, mais on était bien serrés là-dedans, dans cette tribune à la con, comme des sardines, et je me suis dit que j’irais le voir à la mi-temps.

Et alors ?

Tout le monde avait stoppé son geste, on était suspendus  aux lèvres du Jojo.

Oui, et alors ? a éructé Chaupin.

Et alors, quand je me suis retourné à la mi-temps, il avait disparu.

 

Il y eut un court instant de stupeur, et puis le vacarme reprit, les pastis filèrent dans les gosiers, Jojo se foutait de notre gueule, ce con-là regardait trop la téloche, il nous bassinait avec cette série qui se passe chez les British, Le Prisonnier ça s’appelait, des types dans un village qui n’ont pas de noms juste des numéros, et un gars qui veut se tirer mais qui peut pas, un truc de rosbifs quoi, y’a que Jojo pour apprécier des conneries pareilles, ça lui montait au ciboulot et il nous inventait des craques comme cette histoire de Féfé.

Au bout de la nuit, il y croyait encore dur comme fer.

C’était lui, sûr, il répétait en boucle.

Il allait pas être frais le matin au boulot. Magasinier qu’il était, à Manufrance.

 

Si on lui en voulait, c’était de nous avoir fait rêver l’espace d’un instant, car tous on aurait aimé le revoir, Félix, et je ne parle pas des gonzesses à qui il a laissé des cicatrices dans la mémoire. La soeur à Chaupin par exemple. Elle en était folle, s’est jamais mariée du coup. Quel gâchis !

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12 octobre 2017 4 12 /10 /octobre /2017 20:15
Sergueï Tavlavoska va aider La Bouinotte. © Photo NR

Le Baroudeur m'a alerté : on a retrouvé la trace d'un individu on ne peut plus suspect...

Pour en savoir plus, lire la Nouvelle République du 11 octobre.

A toutes fins utiles, je préfère tout de même reproduire ici le texte de l'article, et j'exhorte nos amis tasons à la plus grande vigilance :

Châteauroux. Samedi soir, des enquêteurs en herbe investiront le centre-ville. Ils tenteront de résoudre une énigme imaginée par La Bouinotte dans le cadre de la Nuit Polar.

Pour son édition 2017, la Nuit Polar s’offre une hydre à trois têtes : les auteurs Éric Yung et Michel Neyret d’une part, mais aussi la personnalité très controversée du Géorgien Sergueï Tavlavoska, figure incontournable du documentaire de guerre dans les années 1990, primée plusieurs fois aux festivals de Varsovie, Oslo et Berlin, mais dont la rumeur rapporte les accointances avec certains milieux d’affaires et groupuscules anarchistes. Si son nom ne vous évoque rien, vous avez forcément croisé ses images chocs lors des conflits qui secouèrent l’Europe à la fin du siècle dernier et d’autres, plus récentes, illustrant les tensions entre l’Ukraine et la Russie. Quel rapport entre ce réalisateur et la Nuit Polar ? A priori, aucun.
Scénariste et activiste politique Mais une coïncidence aura permis à cet auteur de faire sens, au mois de mars dernier, lorsqu’effectuant des recherches autour de la personnalité de Napoléon Bonaparte (en vue de produire une fiction documentaire sur les campagnes qui perdirent l’Empereur à l’Est), Sergueï Tavlavoska se retrouve à prospecter dans les archives du Musée Bertrand. Il y débusque quelques bribes épistolaires et apprend par le biais de la conservatrice, qu’un jeu-enquête se profile sur le même thème pour mois d’octobre. Banco ! Tavlavoska se propose d’apporter sa pierre à l’édifice ! La Bouinotte pouvait-elle espérer meilleur collaborateur pour sa prochaine Nuit Polar ? « Il fallait saisir l’opportunité, déclare Gilles Boizeau, directeur de la maison d’édition. Je sais que la réputation de l’individu fait polémique, que certaines de ses manières de travailler ont fait scandale, mais c’est le documentariste et scénariste que nous invitons, pas l’activiste politique. »
Vous l’avez compris, cette année, le jeu puisera dans l’atmosphère napoléonienne. Sergueï Tavlavoska n’a pas lésiné, ni sur les moyens, ni sur la fantaisie. Aussi ouvrira-t-il le bal, le 14 octobre, à 20 h, place Monestier, pour l’ensemble des inscrits au jeu et par un petit « discours de présentation » au cours duquel il fera, de ses propres dires, « l’effort de s’exprimer dans le plus joli français que c’est possible pour lui ».

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Je signale par la même occasion qu'à l'issue du jeu trois autres tasons donneront un concert aux Cordeliers, One + One + One ( ce troisième one n'étant autre que le tason Thierry Lieutaud)

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