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16 septembre 2008 2 16 /09 /septembre /2008 21:40

Mon vieux complice Dabadovitch m'a envoyé hier cette nouvelle où l'auteur, un certain Jean Pauly (que je ne connaissais pas, un instant j'ai pensé que c'était mon vieux solide qui jouait du pseudo), " oriente sa plume, me dit-il, vers des préoccupations qui sont semblables aux tiennes." On en jugera. En tout cas, c'est bien tourné.

L’inauguration

Ils avaient annoncé des orages sur les reliefs. On n’y croyait pas. On pensait que ça passerait plus haut comme d’habitude. Quelqu’un avait cru entendre parler d’alerte orange… mais bon, à force de crier au loup. C’est pour ça que le nouveau maire avait maintenu l’inauguration de l’école. Il entamait son deuxième mandat mais on l’appelait encore le nouveau maire. Ici, la nouveauté dure. Elle s’étire. Après la glaciation des années de déclin, le second souffle des campagnes n’en finit pas d’étonner.

Cette inauguration était le baptême de sa jeune gloire. Comme un aboutissement. Comme une obsession. Poser son jalon, engager l’avenir, espérer dans la jeunesse, tourner la page et surtout faire oublier la vieille école avec les fonds de culotte, le tableau écaillé, la flaque d’eau sous le portique, les chiottes à la turque du petit préau, les deux kilomètres à pied pour descendre de la ferme et les deux kilomètres pour y revenir, les devoirs le soir sous la grande horloge et mémé qui perdait la tête en tisonnant dans l’âtre des choses de sa mémoire.
Alors, la nouvelle école avait poussé sous les yeux de l’ancienne. Les élèves distraits par les mouvements du chantier suivaient la montée des murs depuis la salle de classe. Ils badaient les maçons qui allaient et venaient torses nus sous le soleil, un moellon dans chaque main en chantant la Cucaracha. Ils disaient hé Valentin, y’a ton père. Il était fier Valentin et pourtant la maîtresse l’avait sacrément décoiffé en lui promettant de finir sur le chantier plus vite que prévu. Bon sang arrête de regarder par la fenêtre, Valentin s’il te plaît ou tu finiras sur un chantier. Lui Valentin, il ne rêvait que de ça, comme papa, le vent de la liberté là haut sur l’échafaudage, en fumant sa clope, en voyant par-dessus les toits.

D’un coup, l’air a blêmi. Le ciel a froncé des nuages derrière la pointe du clocher. Le vent s’est levé. Un roulement a claqué en cascade, encore lointain… on commençait à se demander sérieusement si la météo n’avait pas raison pour une fois. Ils étaient tous là. C’était la première sortie du sous-préfet fraîchement nommé et par curiosité, on était venu voir à quoi il ressemblait. Tassoti, en chemisette, regardait ses pieds pendant le mot de Madame Lambert, l’Inspectrice d’Académie en tailleur Bordeaux et rouge à lèvre assorti. Le Président de la Communauté jouait des coudes pour être dans le premier cercle et le Conseiller général était excusé. Hélène posait dans un coin avec Elisa cachée par l’énorme bouquet de fleurs qu’elle devrait donner tout à l’heure à la grosse dame en rouge quand le nouveau maire ferait un petit signe de la tête. Justement, lui, il n’avait pas encore fini son discours. On respirait à chaque fois qu’il tournait une nouvelle feuille mais on s’inquiétait dès qu’il levait les yeux pour une digression improvisée… On attrapait des mots au passage… nouvel outil de développement... intercommunalité... transparence... et tout ça c’est pour nos enfants… c’est là qu’on a reçu les premières gouttes.
Alors, ça a vraiment pété, comme une déchirure du ciel. On s’est mis à courir. On a bousculé les nappes en papier et les cacahuètes pour chercher un abri. Mme Lambert et ses talons aiguilles, Tassoti et sa chemise trempée, le sous-préfet sous la saucée, le nouveau maire et ses feuillets épars. Quelqu’un a montré du doigt l’ancien préau. On s’est précipité. On était serré, ça sentait bon la vieille terre chaude et on regardait la nouvelle école, abandonnée sous les éclairs, fouettée par l’averse.

Ils avaient tout prévu, un bureau pour la directrice, une salle informatique, une tisanerie… mais ils avaient oublié de faire un préau dans la cour."

Beau texte, vraiment. C'est extrait d'un petit livre publié aux éditions Odilon, L'année des quarante jeudis. 

Pour finir aujourd'hui, petit  hommage à Richard Wright, dont quelques morceaux ont accompagné notre folle jeunesse (je peux vraiment écrire ça maintenant que je suis devenu un "vieux monsieur").




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2 septembre 2008 2 02 /09 /septembre /2008 21:41
Mon inventaire des préaux, commencé en janvier 2008, avait tourné court. La flemme m'avait sans doute rattrapé, et je n'avais même pas écrit le second article annoncé sur le préau voisin de M. dont j'avais pourtant réalisé une galerie de photos tout à fait impressionnante, si, si je vous assure... Or, voilà qu'aujourd'hui, ce seul petit préau est en voie de disparition. C'est ce qu'une visite de rentrée dans l'école de T. m'a révélé ce matin.
En effet, dans la perspective de l'ouverture d'une nouvelle classe, la municipalité a pensé qu'il était bon d'agrandir la garderie, laquelle se résumait à une petite pièce juste à côté du vieux préau ouvert à tous les vents. Donc, vous devinez le reste : réfection dudit vieux préau et fermeture de l'avant par de belles baies vitrées.
Ce matin, les ouvriers travaillaient encore sur ce chantier.Mon inventaire obsolète dès son début ! Un coup sans doute de la racaille dynamique.
Plus que jamais, il me faut poursuivre cette entreprise de sauvegarde de la mémoire écolière, garder image des vieux préaux avant leur plongée fatale dans l'oubli.
La croisade des préaux a commencé !



 

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17 janvier 2008 4 17 /01 /janvier /2008 22:54
Comme annoncé, j'entame gaillardement, moi le Nomade pédagogique, sous la houlette affable et la caution scientifique éminente  du Professeur Patrigeon Et Son Equipe, un inventaire des préaux de la circonscription. Aucune urgence ne commandant  cette action, c'est donc une authentique action tasonne. Quoique... De plus en plus, les préaux se ferment ; autrefois ouverts à tous les vents, ils se recroquevillent de plus en plus souvent derrière de forts vitrages. On ne sent plus la bise vous gifler, les embruns vous fouetter le visage. On est au chaud. Mais les insouciants ne peuvent plus défier les bourrasques, s'ébrouer dans les flaques, toréer avec les gouttières. Enfin, ce n'est pas encore le lot commun des préaux, il en reste heureusement de bien traditionnels...

undefinedComme le premier que j'ai  arpenté, le préau de T. (je mets des majuscules, le préau a droit à son intimité) : un authentique préau berrichon  orienté à l'est.  Qui nous permet  accessoirement  d'établir une première loi : il n'existe aucune corrélation entre la taille de la cour d'une école et la taille de son préau. A T., la cour en effet est très grande, et les élèves disposent par ailleurs d'un vaste terrain herbeux derrière la classe. Le ratio espace/elève est un des plus considérables du département. Eh bien le préau, lui, est minuscule. 

Il  n'en possède pas moins  nombre d' attributs  du  préau rural classique, en premier lieu une magnifiquepreautendu3.JPG échelle, arrimée sous la poutre centrale. Eh oui, souvent les préaux ont des échelles, en bois. Mais elles ne servent jamais. Pourquoi sont-elles là ? C'est un de ces mystères que je tenterai d'élucider.

Le préau de T. possède aussi un lavabo,  ou faut-il l'appeler évier ? Vestige du temps où  les enfants se lavaient les mains avant d'aller  à la cantine.  La faïence en est un peu ternie, mais c'est qu'elle ne voudrait pas jurer avec les murs  dont le crépi laisse aussi à désirer. Tout cela a le charme des objets décatis.  La charpente est de belle facture, y pendent encore les cordes à grimper qu'usèrent les pantalons de nos pères ; des brins effilochés témoignent d'une pratique malheureusement à peu près disparue.

preautendu2.JPG
Que dire de plus ?  Sinon  évoquer cette noire ouverture vers un improbable grenier. Il faudrait dresser l'échelle pour aller y jeter un coup d'oeil. On y trouverait peut-être, comme dans Le Grand Meaulnes , des fusées oubliées du 14 juillet. Je n'ai pas osé demander à vérifier. Déjà qu'il faut  bien que je m'explique sur la raison de mon engouement photographique pour les préaux. On finirait par me trouver bizarre.

preautendu6.JPG
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