9 décembre 2007
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Le
village détenait un triste record : sur les cinquante-deux jeunes gars qui étaient partis en chantant au front en 14, aucun n'était revenu. Le seul qui
avait échappé à la boucherie avait totalement perdu la mémoire : il ne reconnut jamais ses parents et sa fiancée et mourut dix ans plus tard à l'hospice du chef-lieu. Le pélerinage à
Sainte-Claire des Fontaines connut un net déclin, et malgré les efforts de l'Abbé Mignot qui réussit à faire déplacer par deux fois l'archevêque en personne, on ne retrouva jamais l'affluence
d'avant-guerre. Beaucoup de veuves et d' orphelins quittèrent le pays pour ne plus jamais y revenir. Et, alors que la nouvelle tuerie mondiale pointait son nez sale, on était déjà passé sous
la barre des cinq cents habitants.
La forêt qui cernait le village abrita un réseau de résistance. Peu actif, il fut néanmoins démantelé par la Milice, à la suite de dénonciations qui devaient émaner du bourg lui-même (mais on n'en sut jamais rien précisément). Huit hommes jeunes et vieux ainsi que trois jeunes filles furent déportés. A la Libération, les survivants ne daignèrent pas rentrer au village, à l'exception de Luce Ventrèche qui fonda la première cellule locale du Parti Communiste.
L'école des Soeurs, qui menaçait ruine, ferma la première. L'épicerie Soulas la suivit de peu. Chaque année, avec une belle régularité, un commerce déposait le bilan, un paysan au bout du rouleau se pendait dans sa grange. Le dernier à résister, le boulanger Dindault, partit à la retraite sans pouvoir vendre son fonds. L'abbé Mignot, écrasé dans sa 2CV par la dernière Micheline qui traversait le village, un mois à peine avant la désaffection de la ligne, ne fut jamais remplacé.
Le maire de l'époque, refusant comme un beau diable de regrouper son école avec celles des communes voisines, perdit sa dernière classe dans les années 80, malgré un baroud d'honneur de Luce Ventrèche dont la prise d'otage de l'Inspecteur d'Académie durant trois jours alla jusqu'à faire la une du Journal de 13 heures à TF1. Personne ne lisant, le bibliobus cessa de s'arrêter sur la place des Marronniers l'année suivante.
Un club Joie de Vivre fut créé pour redynamiser les seniors. Plusieurs thés dansants furent organisés, des excursions à La Bourboule ou au zoo de La Palmyre, puis on se lassa. Le maire renonça à se représenter et l'on eut toutes les peines du monde à établir une liste contre celle de Luce Ventrèche qui, il est vrai, ne comportait qu'elle-même. Un ancien élève qui avait un petit talent de plume écrivit dans une revue régionale des Chroniques paysannes, allègres et joyeuses selon ses propres dires, qui valurent au village la visite de quelques citadins bardé de camescopes et avides de pittoresque campagnard.
Quand le café du Stade ferma la même année où le club de foot fut définivement dissous faute de joueurs, on sut que l'agonie avait commencé. On arpentait le village comme on eût remonté les allées mornes d'un cimetière, et les ultimes habitants étaient considérés à l'égal des derniers poilus.
A quatre-vingt-quinze ans, Luce Ventrèche ouvrit un blog. Elle l'intitula : "Contre tous les charognards".
La forêt qui cernait le village abrita un réseau de résistance. Peu actif, il fut néanmoins démantelé par la Milice, à la suite de dénonciations qui devaient émaner du bourg lui-même (mais on n'en sut jamais rien précisément). Huit hommes jeunes et vieux ainsi que trois jeunes filles furent déportés. A la Libération, les survivants ne daignèrent pas rentrer au village, à l'exception de Luce Ventrèche qui fonda la première cellule locale du Parti Communiste.
L'école des Soeurs, qui menaçait ruine, ferma la première. L'épicerie Soulas la suivit de peu. Chaque année, avec une belle régularité, un commerce déposait le bilan, un paysan au bout du rouleau se pendait dans sa grange. Le dernier à résister, le boulanger Dindault, partit à la retraite sans pouvoir vendre son fonds. L'abbé Mignot, écrasé dans sa 2CV par la dernière Micheline qui traversait le village, un mois à peine avant la désaffection de la ligne, ne fut jamais remplacé.
Le maire de l'époque, refusant comme un beau diable de regrouper son école avec celles des communes voisines, perdit sa dernière classe dans les années 80, malgré un baroud d'honneur de Luce Ventrèche dont la prise d'otage de l'Inspecteur d'Académie durant trois jours alla jusqu'à faire la une du Journal de 13 heures à TF1. Personne ne lisant, le bibliobus cessa de s'arrêter sur la place des Marronniers l'année suivante.
Un club Joie de Vivre fut créé pour redynamiser les seniors. Plusieurs thés dansants furent organisés, des excursions à La Bourboule ou au zoo de La Palmyre, puis on se lassa. Le maire renonça à se représenter et l'on eut toutes les peines du monde à établir une liste contre celle de Luce Ventrèche qui, il est vrai, ne comportait qu'elle-même. Un ancien élève qui avait un petit talent de plume écrivit dans une revue régionale des Chroniques paysannes, allègres et joyeuses selon ses propres dires, qui valurent au village la visite de quelques citadins bardé de camescopes et avides de pittoresque campagnard.
Quand le café du Stade ferma la même année où le club de foot fut définivement dissous faute de joueurs, on sut que l'agonie avait commencé. On arpentait le village comme on eût remonté les allées mornes d'un cimetière, et les ultimes habitants étaient considérés à l'égal des derniers poilus.
A quatre-vingt-quinze ans, Luce Ventrèche ouvrit un blog. Elle l'intitula : "Contre tous les charognards".