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4 novembre 2014 2 04 /11 /novembre /2014 23:50

"Sauvage ? Hostile ? Interdite ? Que voilà bien des mots d'hommes, des jugements d'homme ! Hors de nous, immense et toute vivante, tissée de siècles, nourrie du vieil humus de ses milliards de feuilles tombées, toute fermée, toute serrée sur son soleil et sur son ombre, qu'eût-elle eu à faire, la forêt, de nos paroles et de nos regards d'homme ?"

Maurice Genevoix, La forêt perdue, Plon, 1967, p. 42

Mad #13 : Serrée sur son soleil et sur son ombre

Soudain, après une matinée plus que maussade, le soleil qui revient, qui coule généreusement à travers les stores de la fenêtre du bureau.

Midi trente. Je sors de la vieille Ecole normale primaire (ces mots sont encore inscrits dans la pierre au fronton) par le côté sud, ouvert sur la ville, le petit stade et l'avenue de Tours. Prenant du recul, j'admire la symétrie académique du bâtiment, les deux cèdres gigantesques qui l'encadrent, aussi vieux que lui sans doute .

Mais ce ne sont pas ces géants qui, au final, me retiennent longtemps, non, ce sont les feuilles des tilleuls, rongées par l'automne, dont la splendeur des nervures s'illumine par transparence. Chacune est une toile éphémère, un farouche affrontement de pigments, une carte où collisionnent en silence les amazonies et les hauts plateaux andins.

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3 novembre 2014 1 03 /11 /novembre /2014 23:08

"Elle a conclu sa leçon par quelques détails biographiques. Zénon a fait montre dans sa vie du même esprit combatif qui parcourt sa philosophie. Il tenta de renverser Néarque, le tyran d'Elée, mais celui-ci l'arrêta et lui demanda d'avouer les noms de ses complices. Le philosophe se trancha alors la langue avec les dents et la lui cracha au visage. Je suis sûr que mon père sera enchanté quand je lui raconterai cet épisode."

Vassilis Alexakis, Après J.-C., Gallimard, 2007, p. 131.

Mad #12 : Se trancha alors la langue

J'aimais le balancement des branches de l'érable devant la vitre du salon. Quand il y avait un peu de vent, dans le matin ensoleillé, les feuilles dansaient en pastilles d'ombre sur les murs. Fini : les élagueurs sont passés, et les arbres dénudés ont des gueules de poteaux télégraphiques. On a beau savoir que c'est pour mieux repartir, il y a un moment de tristesse.

Les arbres, je les ai retrouvés, le soir, avec le film de Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado, Le sel de la terre, qui retrace le parcours du photographe Sebastião Salgado.

Quand, après avoir suivi le génocide rwandais (images terribles), "l'âme malade" d'avoir vu tant d'horreurs et de souffrances, il reprend foi dans l'existence en se consacrant à la reforestation de la forêt atlantique, autour de ce qui fut la ferme paternelle, plantant deux millions d'arbres, et parvenant en quinze ans à restaurer un écosystème qui semblait perdu à jamais.

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2 novembre 2014 7 02 /11 /novembre /2014 19:08

"Qui longe cette côte passe par une série de mirages. A chaque instant le rocher essaie de vous faire sa dupe. Où les illusions vont-elles se nicher ? Dans le granit. Rien de plus étrange. D'énormes crapauds de pierre sont là, sortis de l'eau sans doute pour respirer ; des nonnes géantes se hâtent, penchées sur l'horizon ; les plis pétrifiés de leur voile ont la forme de la fuite du vent ; des rois à couronne plutonienne méditent sur de massifs trônes à qui l'écume n'est pas épargnée ; des êtres quelconques enfouis dans la roche dressent leurs bras dehors ; on voit les doigts des mains ouvertes. Tout cela c'est la côte informe. Approchez, il n'y a plus rien. La pierre a de ces évanouissements."

Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer

Cimetière Saint-Denis

Cimetière Saint-Denis

Mes morts ne sont pas à Châteauroux. Ils reposent - ou faut-il mieux dire qu'ils ont été déposés -, à Aigurande, Crozon, Bouesse ou Crevant, dans des cimetières excentrés, à la lisière des prés.mouillés. A la vérité, je vais rarement les voir, mais je pense à eux, oui, souvent. Mais les chrysanthèmes, non, je ne sais pas pourquoi, je n'ai jamais franchi le pas.

Il y a pourtant un mort qu'ici je révère. Ernest Nivet. Le sculpteur. Je vis entre sa maison-atelier et son tombeau, dans ce même quartier saint-Denis. Je suis allé sur sa tombe le 1er novembre, alors même qu'un rassemblement d'uniformes donnait de la trompette. Pas une seule fleur sur la pierre modeste. C'est que la sépulture du sculpteur ne ressemble en rien à ces monuments funéraires prétentieux qui fleurissent tout autour, chapelles closes, marbres cirés noirs, croix immenses, qui croulent souvent dans l'abandon des lierres. La statue qui surplombe la pierre tombale montre la douleur d'une femme, mais cette douleur est digne, retenue. Elle est à l'image de la devise inscrite sur le mur même de son atelier : «Exprimer le plus possible dans le moins possible».

Oui pas une fleur pour Nivet. Alors au marché j'ai acheté un petit pot de bruyère en fleur et en revenant, alors que la foule emmédaillée se dispersait, je l'ai déposé sur son granit.

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23 octobre 2014 4 23 /10 /octobre /2014 22:28

  "Et maintenant, au coeur de la nuit comme un veilleur, il découvre que la nuit montre l'homme : ces appels, ces lumières, cette inquiétude. Cette simple étoile dans l'ombre : l'isolement d'une maison. L'une s'éteint : c'est une maison qui se ferme sur son amour.

   Ou sur son ennui. C'est une maison qui cesse de faire son signal au reste du monde. Ils ne savent pas ce qu'ils espèrent ces paysans accoudés à la table devant leur lampe : ils ne savent pas que leur désir porte si loin, dans la grande nuit qui les enferme."

Antoine de Saint Exupéry, Vol de nuit, Gallimard, 1931, p. 22.

Lavoir (chemin de la Baignade)

Lavoir (chemin de la Baignade)

J'aime dans la ville, dans n'importe quelle ville, ces lieux échappant à la stricte urbanité, éloignés à la fois de l'aménagement citadin et de l'espace vert bien entretenu par les services municipaux. Lieux où la nature, j'allais écrire reprend ses droits, mais non, quels droits d'ailleurs ? non, elle reprend place, c'est tout, à coup de lierre et d'orties, de lentilles d'eau et d'herbes folles.  Ici, à quelques toises du centre-ville, un ruisseau minuscule, oublié même de la carte IGN, longe d'anciens lavoirs, que des portes branlantes séparent de jardins ensommeillés.

Rue du Père Adam, au Bric à Brac qui remplace Le Bleu fouillis des mots, j'ai acheté Vol de nuit, que je n'ai jamais lu. Henri Bourgeois, l'écrivain taulard, qui gère le lieu, voudrait changer pour un local plus grand, histoire de pouvoir exposer les milliers de livres qu'il possède, et les meubles. Il en appelle à la générosité du public pour réaliser son projet.

Une dame apporte des livres mais il les refuse. Il en a assez. Des Série noire ? Un plein rayonnage. Guy des Cars ? Ca ne marche plus. Voilà au moins une bonne nouvelle.

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22 octobre 2014 3 22 /10 /octobre /2014 23:23

"Un poète est un contemporain soucieux d'éternité. Un homme quelconque et transitoire, mal assuré de sa trajectoire, curieux de ce qui se rapproche ou s'éloigne. Occupé à redistribuer sans cesse les cartes de ce jeu qu'on appelle la vie, il éveille, pour décor, l'ambiguïté de quelques figures belles, aux intersections. Il rejoint, par des voies trompeuses, le chemin juste."

Jean-Michel Maulpoix, L'instinct de ciel,, Mercure de France, 2000, p. 69.

Mad #9 : Cartes de ce jeu qu'on appelle la vie

Mère et enfants partis à Barcelone, me voici pour quelques jours gardien de chat et de hamster. Le premier croquerait bien le second si je lui en donnais l'opportunité : parfois il monte sur la cage et observe longuement le petit rongeur, dont la placidité ne paraît guère entamée par la présence du prédateur.

Le félin a choisi sa place : il dort sur le lit de Gabriel.

Il aime les caresses, mais point trop n'en faut. Capable de vous décocher un coup de griffe à tout moment. Sale caractère, mais il me plaît comme ça, avec ce fond de sauvagerie inexpugnable.

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22 octobre 2014 3 22 /10 /octobre /2014 00:29

"Amélie file à bord du Constellation vers un destin qu'elle n'aurait pu espérer, une chance inouïe, proprement incroyable, accueillie dans la plus grande incrédulité quelques semaines plus tôt. Ouvrière bobineuse dans une usine textile de Mulhouse, Amélie est l'aînée d'une famille de dix enfants. Amélie, c'est aussi le nom de la mine de potasse dans laquelle son père travaille."

Adrien Bosc, Constellation, Stock, 2014, p.38

Mad #8 : Destin qu'elle n'aurait pu espérer

Rue de Strasbourg, je l'aurai arpenté celle-ci, bien des fois, dans toute sa longueur, et elle est longue la garce, presque rectiligne, mais pas d'ennui, non, mille détails nous interpellent, il faut ouvrir l'oeil, c'est tout.

Deux épiciers arabes, un restaurant chinois, deux cafés, un salon de coiffure, des maisons, plein de maisons, toutes différentes, on n'est pas dans un coron ici, malgré l'usine, oui, une usine, au coeur de la ville, une usine à l'abandon, qui fut un fleuron de la confection française : les Cent Mille Chemises, fondée en 1891 par Maurice Schwob, auquel le Musée de la Chemiserie à Argenton rendit hommage par une exposition au mois de mars dernier.

Sept cents ouvrières travaillèrent à cet endroit avant la première guerre mondiale. Aujourd'hui c'est une friche industrielle où se cassent les dents tous les projets immobiliers. Des Cent Mille Chemises ne reste comme trace que le nom sur le poste de transformation EDF.

La rue de Strasbourg s'appelait rue de Fonds lorsque Maurice Schwob s'y établit. Il était né en Alsace en 1838, je subodore que c'est pour saluer sa province d'origine qu'on a rebaptisé la rue du nom de sa capitale. Par ailleurs, une rue perpendiculaire se nomme aussi rue Maurice Schwob.

Savaient-ils, les édiles locaux, que ce Maurice était né en réalité Moïse Schwob ? Qu'il avait changé de prénom en 1883 ? il avait le sens de l'intégration, en tout cas.

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20 octobre 2014 1 20 /10 /octobre /2014 20:09

   Il se trouve que, toutes les fois où elle se retrouvait à Nohant, George Sand écrivait dans la chambre où lui avait été annoncée, lorsqu'elle était enfant, la mort de son père désarçonné. C'était là où on lui avait fait enfiler des bas noirs. C'était là où on avait enseveli le petit corps nu âgé de quatre ans sous une lourde robe de soie noire trop grande pour elle. C'était dans cette chambre qu'on avait forcé la fillette à entourer ses cheveux du voile noir des veuves. C'est dans cette chambre, toute sa vie, qu'elle attendit que son père "eût fini d'être mort".

Pascal Quignard, Les désarçonnés, Grasset, 2012, p. 15

 

Mad #7 : On avait enseveli le petit corps

Seule photo prise aujourd'hui, presque en désespoir de cause, et qui aurait pu convenir pour cette série trop brève initiée sur Alluvions - De ma fenêtre -, photo à nuit tombée, de l'espace désert entre les bâtiments, un lundi soir en province. Les trois lampadaires se prolongeant en pointillé dans la vitre de l'immeuble d'en face.

Après cette journée de cours trop longue, trop dense, qui m'a laissé insatisfait, j'ai couru pour évacuer un peu de cette tension qui m'envahissait, indifférent, je le constate maintenant, à la douceur de l'air comme aux signes bien présents de l'automne dans le paysage.

Le fer de la fatigue glissant dans les chairs.

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19 octobre 2014 7 19 /10 /octobre /2014 23:32

"Ruminer c'est cogiter sur les choses - à la manière dont le bétail rumine l'herbe - et digérer leurs significations."

Tim Ingold (Marcher avec les dragons, Zones Sensibles, 2013, p. 347)

Mad #6 : A la manière dont le bétail

Le vieux parquet à la fête de la sorcellerie à Bonnu. Installé dans la rue même, ce quasi-vestige était sans doute appelé à reprendre du service à l'issue de la fête, pour le bal gratuit avec l'orchestre Hervé Christian (j'ai l'impression que les petits groupes de baluche se nomment souvent ainsi, avec deux prénoms, ça sonne tout de suite plus familier - et si ça se trouve, l'immense popularité de Maurice André tenait un peu de ça). Mais nous ne sommes pas restés jusque là (avec le beau temps ça commençait à bouchonner dans l'unique rue du village, j'ai profité finir la journée dans le calme de Gargilesse).

Les moeurs ont bien changé : le matin a eu lieu la messe et la procession de Saint Luc, et l'après-midi les sorcières ont déferlé. Impensable, ne serait-ce qu'au début du siècle dernier. Paganisme et christianisme ne sont plus en guerre, ou faut-il dire que ce ne sont plus que deux vieux ennemis usés, qui ne survivent plus que sous la vêture fripée du folklore ?

La religion est forte quand elle coupe des têtes, fait rêver les jeunes gens, allume des incendies. William Tyndale, humaniste anglais, est hissé sur le bûcher le 6 septembre 1536. Le bougre de cochon avait traduit la Bible en anglais.

Barbarie ? Pour sûr. Mais qui le jugeait ainsi à l'époque ?

 

 

 

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16 octobre 2014 4 16 /10 /octobre /2014 18:49

Mère Ubu

Soupe polonaise, côtes de rastron, veau, poulet, pâté de chien, croupions de dinde, charlotte russe…

Père Ubu

Eh ! en voilà assez, je suppose. Y en a-t-il encore ?

Mère Ubu, (continuant).

Bombe, salade, fruits, dessert, bouilli, topinambours, choux-fleurs à la merdre.

Père Ubu

Eh ! me crois-tu empereur d’Orient pour faire de telles dépenses ?

Mère Ubu

Ne l’écoutez pas, il est imbécile.

Père Ubu

Ah ! je vais aiguiser mes dents contre vos mollets.

Mère Ubu

Dîne plutôt, Père Ubu. Voilà de la polonaise.

Père Ubu

Bougre, que c’est mauvais.

 

Alfred Jarry (Ubu Roi, acte I, scène III)

Dans l'escalier de l'immeuble

Dans l'escalier de l'immeuble

Si la farce de Jarry (vue ce soir à Equinoxe dans l'ingénieuse et énergique mise en scène de Declan Donnellan) nous parle toujours, c'est que les Père et Mère Ubu pullulent toujours sur la planète ; les assoiffés de pouvoir, les affamés du lucre, aussi cruels que mesquins, sont toujours parmi nous.

Le maire pourri jusqu'à la moelle (et imbibé de vodka jusqu'à l'os) du film de Zviaguintsev est en somme l'un de ceux-là.

Il est hélas beaucoup moins drôle.

Maintenant, il est juste d'ajouter que Donnellan a une lecture moins rassurante : le couple affreux rappellerait à notre bon souvenir la cruauté de notre enfance, Ubu exprimant "ainsi le potentiel de violence qui existe au fond de nous tous."

Je ne suis pas vraiment convaincu : la violence est une chose, dont l'enfance bien sûr n'est pas exclue, mais la cupidité, le besoin de domination, en revanche, y sont très rares. C'est le triste privilège de notre monde d'adultes.

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15 octobre 2014 3 15 /10 /octobre /2014 23:49

A toi salut

Infime apparition

Dans la démence temporelle

Lueur frêle à ne pas croire

Luciole pour démentir

L'empire énorme de la haine

Georges-Emmanuel Clancier (Passagers du temps, Gallimard, 1991, p.126)

Mad #4 : L'empire énorme de la haine

Circuit presque rituel pour l'Apollo : aller par la rue de Strasbourg, retour par les venelles, les routins perçant les pâtés de maisons du côté de la rue Lamartine. Le plus souvent heureux, mais ce soir, presque en colère.

C'est que je viens de voir un de ces films que j'évite d'habitude : le film où l'injustice est triomphante, le film de noirceur absolue, où les innocents sont écrasés et les salauds impunis.

C'est Léviathan d'Andreï Zviaguintsev, film russe tourné au-delà du cercle polaire, ce qui nous donne quelques plans sublimes de carcasses de bateaux et de baleines sur le gris rivage d'une mer glaciale. Mais cela ne peut compenser l'histoire d'un Job moderne, veuf d'un premier mariage, exproprié par un maire maffieux, cocufié par l'ami avocat qui devait le secourir, effondré à la suite du suicide de sa jeune femme, accusé et condamné pour le meurtre de celle-ci tandis que son fils unique, adolescent tourmenté, est recueilli par le couple d'ivrognes qui a témoigné contre son père.

Trop, c'est trop. Il paraît que le maître de Zviaguintsev est Tarkovski, et indéniablement on sent une influence, mais chez Tarkovski, malgré le tragique des histoires, ou à cause d'elles, toujours au tréfond demeure une lumière fondamentale. On la cherche en vain dans Léviathan.

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