Des écharpes de brouillard s'enroulaient autour de la Twingo. Elle a mis les phares, et c'était comme si elle était revenue dans la nuit d'avant, dans l'orage de la nuit d'avant. Elle éteint la radio car elle s'aperçoit qu'elle ne comprend rien à ce que se disent si gentiment, si poliment les deux personnes qui causent dans le velours feutré d'un studio. Je suis comme un automate, elle pense. Un automate en route vers la garderie, un automate qui va récupérer sa fille.
Sauf que les automates n'ont jamais de sommeil en retard, les automates n'ont pas de petite fille à chercher après l'école.
Elle se gare. Elle ne sort pas tout de suite de la voiture. Elle sait qu'elle doit laisser là son masque de la nuit, qu'elle a porté tout le jour, elle sait qu'elle doit repeindre son visage, pour elle, pour la petite fille.
La petite salle de la garderie bruisse encore du bruit des crayons de couleur et des kaplas qui s'écroulent. Elle la voit, là-bas, sur la table ronde, seule, achevant un dessin. La dame l'appelle, elle lève la tête, quand elle voit enfin sa mère elle a le plus beau sourire du monde.
Tu me montres ton dessin ?
Non, pas maintenant.
Elle s'engouffrent dans la Twingo. La nuit est descendue comme un rideau noir de théâtre. Elle pense à lui, qui va revenir du travail, elle pense à ce mauvais silence qui suit si souvent chez lui les nuits d'orage, cette traîne d'amertume qui fane tout sur son passage. Elle ne sait pas si elle aura la force.
Quel son tu as appris aujourd'hui ? il demande à sa fille
Elle ne répond pas. Elle sort son dessin. Son père et sa mère sont là, tous les deux, alors elle le montre enfin, elle leur donne, sans rien dire. Il y a deux coeurs qui s'écartent ou se rapprochent, on ne sait pas. Il y a surtout quatre mots écrits:
Emévou papa et maman.
Et pour la première fois, ce soir-là, ils se sont regardés.
