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20 mars 2022 7 20 /03 /mars /2022 14:19

Il décida de buter Poutine. Il n'en pouvait plus de voir tomber les bombes toute la journée sur les chaînes d'info, il ne supportait plus de voir ces cortèges de femmes et d'enfants quittant leur pays pour un exil peut-être définitif. Il se disait qu'il n'avait rien à perdre, ses enfants étaient grands, ses amours étaient loin, et s'il devait mourir dans l'action, sa vie prendrait au moins un sens qu'elle n'avait jamais pu avoir. Une fois la décision prise, et bien qu'il fût conscient qu'un certain secret devait entourer l'affaire, il ne crût pas l'éventer  en allant clamer sa détermination chez la grande Christine, à l'ancien café de la Poste, où il passait de temps en temps prendre l'apéro avec d'anciens collègues. Bien sûr, on ne le prit pas au sérieux une seule seconde, mais afin d'encourager l'audacieux vengeur d'innocents ukrainiens on paya tournée sur tournée, de vodka de préférence, si bien que le lendemain notre homme avait quelque peine à reconfigurer son monde. Pour rassembler ses esprits dispersés un peu partout dans l'appart, il prit une douche bienfaisante où lui apparut un problème qu'il n'avait pas envisagé jusque-là : celui du financement. Car il allait en falloir des sous pour le voyage, et graisser sans doute quelques pattes pour accéder au coeur du Kremlin, sans compter qu'un traducteur ne serait pas de trop, vu qu'il ne parlait pas un mot de russe.

Or, il était à découvert de façon chronique, et il ne se connaissait comme débiteur que Blanchard, qui lui avait tapé cinquante euros la nuit où ils étaient allés en boîte pour le jubilé de la société de pêche. Il se rendit donc, une fois peigné et rasé, chez ledit Blanchard qui ne se souvenait de rien, et donc n'irait pas subventionner ce qu'il appelait un attentat terroriste, et puis Poutine avait bien raison de rentrer dans le lard de cette clique de nazis qui se terrait à Kiev comme des rats. Il commençait à penser qu'à défaut de buter Poutine, il pouvait bien buter un poutinien, mais il n'avait pas achevé de formuler sa phrase en son for intérieur qu'il reçut un bourre-pif de première force, qui l'envoya valdinguer sur le coin de la table basse en verre.

Deux semaines d'hosto, puis trois semaines de soins de suite et de réadaptation, retardèrent d'autant son expédition. Heureusement, il était tombé, dans la petite bibliothèque de l'étage, sur un de ces livres qui vous mettent au parfum de l'ancienne sorcellerie du bocage. Et si au lieu d'aller sur place, il allait user de la bonne vieille magie noire, avec des aiguilles plantées dans la statuette ? Au retour de convalescence, il déroba chez la grande Christine une de ses affreuses poupées folkloriques qu'elle collectionnait dans l'ancienne pièce du billard à côté des trophées de pétanque et de ball-trap.

Il affubla la poupée d'une sorte de costume qu'il avait trouvé au rayon jouets de chez Emmaüs, au temps où il se piquait de brocante, et plaqua sur le visage une photo de Poutine découpée dans Paris Match et agrandie à la photocopieuse. Et, suivant scrupuleusement les consignes du bouquin de l'hosto, il enfonça aux parties vitales de longues brochettes à barbecue (il n'avait pu trouver mieux).

Il attendait fébrilement les effets du maléfice et crut bien un jour être récompensé car, lors d'une allocution de Poutine dans un stade empli de fans survoltés, le dictateur avait disparu des écrans pendant quinze minutes. Les autorités de la chaîne Rossiya-24 avait allégué une panne mais il en était persuadé, la coïncidence était trop forte, Poutine avait du avoir un malaise soudain dû aux aiguilles. C'était déjà ça, et c'était encourageant.

Mais comment savoir si ce rascal de Ruskoff ne s'était pas prémuni de la sorcellerie occidentale en engageant une brigade de Baba Yaga, tout droit venue de Sibérie, rompus aux contre-sorts et renvoi de sortilèges. D'ailleurs il avait un peu mal au crâne depuis la veille, et il n'y voyait aucun lien avec le litre de Smirnoff qu'il s'était envoyé.

Il essaya alors une autre recette de magie noire qu'il avait dégottée sur internet, et qu'il décida de tester avant sur celui dont il était certain qu'il n'était pas protégé par une quelconque chamane du Kamchatka : Blanchard en personne, dont il avait confectionné une petite poupée qu'il trouvait très ressemblante. Il le larda comme un acupuncteur en plein délire, en insistant  tout de même sur le foie, qu'il lui savait de source sûre un peu fragile. Chez la grande Christine, où il retrouva Blanchard un soir de match du PSG qui tourna au désastre, il eut confirmation de sa puissance : le lascar avait le teint jaune, et il sentait presque monter la cirrhose fatale qui ne manquerait pas de l'emporter en quelques mois.

Hélas, il ne put mener son plan à bien : en son absence, sa fille était passée, avec ses jumeaux, et ces satanés lardons avaient trouvé la poupée de Poutine, s'étaient disputé sa possession, et la mère, excédée, l'avait balancée au vide-ordures. C'était à croire que le KGB avait ses antennes dans la contrée, et jusque dans sa propre famille. Et tout le monde maintenant se foutait de sa gueule au bistrot, lui demandant avec un air narquois pourquoi il n'était pas encore parti. 

Pas besoin de partir, rétorquait-il, chaque soir je creuse. Un tunnel qui sortira au Kremlin, dans les chiottes de Poutine. C'est là que je le buterai. "Combien de mètres aujourd'hui ?" lui demandait-on en ricanant. Vingt verstes, il disait (car depuis, il avait lu Michel Strogoff), et j'avance de plus en plus vite. Avant les saints de glace, j'y suis. Mais ça assèche, bordel, toute cette terre à remuer, ramène donc ta Zubro, la grande Christine.

 

 

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