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19 mars 2017 7 19 /03 /mars /2017 07:07

ours blanc

 

Le chaudron bouillait. Geoffroy Guichard voulait sa revanche après la défaite d’Annecy en coupe de France, et toi aussi bien sûr, même si tu n’as pas pu prendre place à côté des copains, parce que pour eux tu es mort, disparu, et que cela te va comme ça, d’être mort, et que d’une certaine façon, c’est vrai, tu es mort, bel et bien mort. Alors tu es juste à côté de la tribune des Lyonnais, cela pourrait t’énerver, mais ceux-là te sont malgré tout assez sympathiques, car ce sont les supporters de l’Ours Blanc, la petite brasserie derrière la gare de Perrache, cornaquée par la mamie Toutain, qui n’hésite pas à loger de jeunes joueurs dans ses chambres de l’arrière, une passionaria du ballon rond chez qui tu as aimé autrefois écluser quelques bières. Et aujourd’hui ces gars-là vont marquer l’histoire du club. Jean Snella, l’entraîneur des Verts, après l’élimination du 12 février, a balancé qu’à “trop jouer la carotte, Lyon n'ira pas très loin en coupe. Lyon est une équipe qui ne sait que défendre”. Alors les lascars de l’Ours Blanc ont acheté vingt-cinq kilos de carottes au marché de gros, et les ont jetés sur le terrain au début du match. Cinquante ans plus tard, on parlera toujours de ce derby comme le derby des carottes.

 

Georges Beretta, l’artilleur des Verts, ne s’est pas démonté pour autant. Il a tranquillement empoigné une de ces carottes répandues sur la pelouse et l’a croquée devant la tribune des Gones. Puis on a évacué les carottes et le match a vraiment commencé.

 

Et longtemps la marque resta vierge, le stade avait beau gronder, les filets ne tremblaient pas, et toi non plus d’ailleurs, la mauvaise fièvre d’Annecy n’était plus qu’un sale souvenir, même si tu savais bien que c’était un souvenir qui n’en finirait jamais de revenir, non, tu aurais même aimé courir avec les autres, dribbler, tacler, shooter, tu sentais ton sang avide d’inonder les muscles, et quand Revelli perça la défense lyonnaise à la 66ème minute, inscrivant un but magnifique, tu t’es levé en criant et en levant les bras en l’air, oubliant que tu étais dans le camp de l’ennemi, t’attirant les regards soupçonneux et hostiles de tes voisins, qui exultèrent à leur tour quand Di Nallo, sur un contre fulgurant, égalisa pour son équipe à la 75ème. Joie de courte durée car Mekloufi, le petit gars de Sétif, qui avait joué dans l’équipe du FLN avant de revenir en France, Mekloufi, oui, le petit gars qui n’a jamais reçu un carton dans toute sa carrière, catapulte la balle en pleine lucarne à la 80ème minute. Lyon ne reviendra pas.

 

Et Saint-Etienne chante, tandis que l’Ours Blanc fait banquise, replie ses banderoles, fier quand même du coup des carottes, qui fera parler pendant des années, mais toi, ce chant qui s’élève des gradins d’en face, tu ignores pourquoi, en fait surgir un autre, déployant sa mélopée obstinée dans le secret de ton cerveau, chant des soldats laotiens qui veillaient avec toi à Chan-Muong ou Ngoc-Thap, dans ce fortin qu’il fallait à tout prix tenir, c’était les ordres, alors que les hordes Viet-minh, dix fois plus nombreuses, s’apprêtaient à déferler. Tu ne comprenais rien aux paroles, bien sûr, mais tu en étais sûr, c’était un chant d’adieu.

 

Allez, c’est pas grave. La prochaine fois, on les aura.

Il releva la tête. C’était un jeune de l’Ours Blanc qui essayait de le consoler.

Il prit seulement conscience à ce moment-là qu’il avait le visage plein de larmes.

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commentaires

G
Où l'on apprend qu'un ours blanc peut chier des carottes et qu'un vétéran de l’Indochine peut être une couille-molle.
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C
- TORRENS (Jacques Perrin) -<br /> Tu vois, Willsdorf, si on s’en sort, on s’paiera une soirée à Katrié chez… enfin comment tu l’appelles déjà ?<br /> <br /> - WILLSDORF(Bruno Cremer) -<br /> Quoi ?<br /> <br /> - TORRENS -<br /> …ben, tu sais, le bistrot à Kratié ?<br /> <br /> - WILLSDORF -<br /> Ah ! « Le Bungalow », tu veux dire ? chez Pellegrin ?<br /> <br /> - TORRENS -<br /> Oui ! Chez Pellegrin ! On s’paiera une soirée chez Pellegrin à tout casser. On fum’ra des cigares. Tu vois Willsdorf…<br /> <br /> - WILLSDORF -<br /> Quoi ?<br /> <br /> - TORRENS -<br /> …non, rien. Tu crois qu’Hanoï va tomber maint’nant ?<br /> <br /> - WILLSDORF -<br /> S’ils veulent. Y a plus rien entre Diên Biên Phù et Hanoï.<br /> <br /> - TORRENS -<br /> Et l’Indochine ?<br /> <br /> - WILLSDORF -<br /> Non, j’pense pas.<br /> <br /> - TORRENS -<br /> Ça t’fait quel effet d’perdre des guerres toi ? mais t’as l’habitude, t’étais dans la Wehrmacht. Par conviction ?<br /> <br /> - WILLSDORF -<br /> J’étais mobilisé ! L’Alsace était Volksdeutsche ! Annexée ! C’est vrai j’ai servi dans l’armée allemande, ça m’emmerdait, mais enfin quoi, faut pas non plus… Et puis tout d’même : Smolensk, Voronej, Koursk, Kharkov… Putain !<br /> <br /> #Fondu enchaîné. Extérieur nuit. On distingue dans la nuit des colonnes d'hommes avançant torches en main. Fondu noir.#<br /> <br /> <br /> [La 317ème Section - film de Pierre Schoendoerffer - 1964]
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N
Merci Chris,<br /> Dire que je n'ai pas encore vu ce film...<br /> Dont un autre ami m'a parlé récemment.<br /> Il faut absolument que je le trouve.<br /> Je vais le trouver.