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13 mai 2013 1 13 /05 /mai /2013 23:04

La nostalgie, oui, parfois la nostalgie m'étreint : de toutes ces années passées, je rassemble les souvenirs nombreux et je me demande : est-ce bien nous qui avons vécu tout cela ?

Cela ? Je veux parler des équipées sauvages qui nous menaient d'Aigurande, de chez Monique, de la place de la Promenade, nuitamment jusqu'à Dampierre, chez Dédette, pour le banquet annuel, la bienheureuse pitance et la beuverie subséquente qui s'étirera jusqu'aux premières lueurs épuisées de l'aube hivernale.

Ah, je sais bien que sur le papier, la carte Michelin numéro 68, ça n'a l'air de rien, deux petites dizaines de kilomètres, cinq lieues, un saut de puce à l'échelle de l'univers,  avec ce système solaire nous emportant à neuf cent mille kilomètres à l'heure autour de la Voie Lactée, oui, ça n'a l'air de rien, mais sur ce parcours de dérisoire apparence les tasons ont écrit quelques-unes des pages les plus héroïques de leur saga.

Il y avait tout d'abord le départ, ah le départ, pas facile le départ, car la spéciale chez Monique, le prologue, le tour de chauffe des zikos, avaient déjà éprouvé les mécaniques, les arrêts fréquents à la pompe à bière avaient encalminé les équipages et le Président devait pousser ses plus belles braillantes pour exhorter les concurrents à courir vers leurs engins. Déjà un retard considérable avait été pris sur l'horaire prévu et déjà on ne pouvait plus confondre le Dampierre  avec un rallye quelconque ou un vulgaire Paris-Dakar. Déjà la plupart des pilotes avaient outrepassé les normes d'alcoolémie en vigueur et ne s'en dirigeaient pas moins d'un pas vaillant quoique parfois un peu chancelant vers leurs postes de pilotage. Mystérieusement la maréchaussée n'entrava jamais l'essor pétaradant de la cohorte automobile tasonnesque. Une providence béate nous protégea toujours des contrôles et des souffleries de ballon  - il y avait pourtant un beau carton à faire - mais ce fut ainsi : la route était ouverte, le Ténéré bocager s'offrait à nos haleines chargées et nous nous engouffrions en toute impunité dans la nuit profonde de février vers le paradis dédettien.

Je revois encore le Paton de la Roque-Gageac, le Pescarolo du Périgord, de sa main sûre d'émailleur mérovingien, démarrer sur les chapeaux de roue, emportant un bon contingent de tasons et tasonnes émerveillés par sa conduite fougueuse aguerrie aux lacets de sa familiale et alpine montagne. Parfois il laissait le volant à son ami Mako, le bolide de Lézat, le Fangio fangeux de la Creuse profonde, qui, après avoir ajusté le rétroviseur, réglé le volume de l'autoradio acheté à vil prix en Andorre, essuyé le levier de vitesse, vérifié la ventilation et refait le niveau d'huile, s'élançait sans plus de manières sur la route où tout le monde l'avait déjà précédé.

Je revois aussi le Doudou L., le Beltoise de la Place Saint-Hélène, dans son Espace éternel et rutilant. Il avait déjà appareillé depuis au moins cinq minutes, rudement lesté par une rafale de Picon bière. Le poignet souple, l'œil vitrifié, le verbe haut, il taillait la route à travers une brume métaphysique épaisse qu'il perçait avec la maestria dont il a seul le secret.

Assemblée tason à Dampierre, en 1635

Tous les tasons, tout au long de ces années, furent exemplaires de fair-play : tout le monde se battait pour arriver le dernier. Seul le bandit Gatal, le chauffard limougeaud, le Diabolo et Satanas des Tasons fous du volant, sans aucun respect des consignes présidentielles, prenait tous les raccourcis imaginables, pratique antitasonne au possible, car le tason au contraire prend le plus souvent ce qu'on pourrait appeler des rallongis. Surtout le tason cluisien, le Lupus, le Garybaldi, le Fitipaldi lilliputien, qui, dans sa Dinky Toys, passait par la Buxerette, Montcheub, le Poirond et la Jarrige de  Cuzion avant d'amarrer sa Majorette à bon port dampierrois.

Ce n'était pas là la tactique des Renaldo : adeptes de la ligne droite implacable, inarrêtables dans leurs puissants diesels, lancés comme des obus à pleine vitesse à travers le djebel berrichon, ayant hérité de la vivacité cécelienne, réflexe de crocodile dévorant la gazelle en une fraction de seconde, deux grammes cinquante dans chaque veine mais l'esprit infiniment clair, ralentissant à peine au stop des Brumales, grillant un paquet  de Gitanes entre Grammont et Le Chardy, se jouant du verglas perfide et du brouillard glaireux, bref forçats de la route, bagnards des départementales, vrais héros des temps anciens, des temps antédiluviens où l'éthylotest n'avait pas encore impacté le neurone grisâtre d'un fonctionnaire atrabilaire.

Vrai héros aussi, le Baroudeur, Juan-Marcos de la Playa del Sol, l'André Citroën de la tasonnerie, remarquable pilote d'essai qui, après s'être entraîné sur toutes les pistes du monde entier, de la Colombie au Laos, du Tibet à l'Australie, est revenu presque chaque année se mesurer aux tasons autochtones au volant d'admirables véhicules toujours préparés avec un soin extrême.

Je ne peux malheureusement pas rendre hommage comme il le faudrait à tous les tasons qui se sont illustrés tout au long de ces années, tous ceux aussi qui nous ont rejoints en chemin, compagnons fidèles maintenant ou comètes oubliées. Je veux tout de même rendre un hommage appuyé aux tasonnes qui si souvent insistèrent pour conduire elles-mêmes malgré l'alcoolémie colossale qu'elles arboraient avec la belle inconscience de leurs âmes ingénues.

Je veux personnellement rendre hommage à Nini, la Michèle Vaillante de Bures sur Yvette, qui fut si souvent le pilote attitré de notre équipage brinquebalant. Elle avait bien sûr bu beaucoup plus que nous mais, ayant hérité des plus beaux gènes de Michel Delaunay, elle nous conduisait sans coup férir jusqu'à la ligne d'arrivée, sono à bloc, la Kickers écrasant le champignon, puisant son énergie dans la consommation ininterrompue d'une tablette de chocolat à 70 pour cent de cacao pur.

Enfin je veux saluer celui qui si souvent s'illustra  sur le Dampierre, notre Ayrton Senna de Tasonlande, comme lui parti beaucoup trop tôt, notre Nano national, Thierry, passionné de la vie, amoureux du risque et des pâtes bolognaises, Thierry dont nous n'oublierons pas le grand sourire et le regard bleu. Ce trajet que nous ne ferons plus, que si souvent nous arpentâmes ensemble, mériterait bien de porter ton nom. Il y a bien des routes Napoléon, des circuits George Sand, des sentiers de Saint-Jacques, pourquoi pas une route Nano ? De chapelle à chapelle, de dame de Bouzanne à dame de Pierre, par la croix de Saint Roch et Saint-Plantaire, mais attention, ce ne serait pas un itinéraire habituel, le fléchage y serait absurde, la signalétique défaillante, l'info aux touristes absente ou erronée, traduite seulement en ouolof et en patagon, autrement dit  la route du pays où l'on n'arrive jamais, la route de l'éternelle jeunesse, bref la route du délire amitié. Cette route, Thierry, c'est à jamais la tienne.

 

 
 

 

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commentaires

L
Les raccourcis du Gatal, parlons-en. Il a quand même réussi à se perdre entre Tasonlande et Cuzion, ce con ! Faut dire que ce soir-là, ses deux copilotes étaient le Nano et le Bib ! La bise mon PPESE.
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B
A la même époque, à Buzançais et ses alentours, je me souviens de personnages du même genre. Je n'en citerai que deux, un gros barbu surnommé (GEF gueule en friche) et l'Erreur ainsi appelé car la Nature est parfaite, sauf lui.
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