Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
4 mars 2012 7 04 /03 /mars /2012 22:58

sucrier-pour-dedette-2012.png

 

“Le paradis est dispersé sur toute la terre, c'est pourquoi on ne le reconnaît plus. Il faut réunir ses traits épars.” Il songeait à cette citation de Novalis, mise en épitaphe du livre qu'il avait jeté avant de partir dans son sac à dos. Il y songeait en poussant la raclette sur le carrelage de la salle des fêtes, au lendemain de leur réunion annuelle. Si c'était vrai, reconnaîtrait-il après coup les petits bouts de paradis qui avaient dû scintiller dans la tonitruante nuit de leurs agapes ?

L'eau sale court jusqu'à la grille d'évacuation. Ils étaient à coup sûr dans la lumière des regards, la chaleur des voix, les visages penchés l'un vers l'autre ; ils étaient dans les rires, dans les chants et peut-être aussi dans les regrets de n'avoir pas eu le temps de dire un mot à chacun. C'était banal finalement, la même émotion depuis vingt ans, la même mélancolie des lendemains qui les étreint tous dans leur solitude retrouvée. Le paradis, ça ?

C'est une ancienne école, adossée à la mairie, du temps où ces villages regorgeaient de petits paysans. Certains ont même sûrement leurs noms sur le monument aux morts, édifié près de l'entrée de la cour. Il songe à ce curieux détail : sur l'une des faces de la stèle de granite bleu est inscrit le nom d'Emma Bujardet, morte de chagrin en 1917. Elle avait perdu ses trois fils.

Ils discutent le temps que ça sèche. L'an prochain, penser à apporter des barquettes pour le restant de bouffe.

Et si nous n'étions venus que pour ça : repartir avec sa petite provision de paradis, bien logée dans le coeur, sans même en avoir conscience. Une petite source radio-active, à désintégration lente, comme la trace pétrifiée de l'amour d'un mari et d'un père.

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

D
<br /> Résumé de la fiction brève du dimanche :Dépôt de barquettes de paradis en morceau au pied du monument aux mortes sur fond de Tasonnaise.<br />
Répondre