"(...) au fil du temps, les autres habitants du quartier se sont convertis aux sanitaires modernes et soudain plus personne n'a eu de cabinets en bois dans son jardin, sauf nous. Un jour, quand j'avais huit ans, mon maître d'école, Mr Wise, m'a ramené chez moi en voiture et j'avais tellement honte que je lui ai demandé de me déposer devant la maison d'à côté en prétendant que c'était la mienne."
Raymond Carver, Vie de mon père in Les Feux, Editions de l'Olivier, 1991.
La honte, je me souviens l'avoir éprouvé à peu près au même âge que Raymond Carver dans l'extrait ici choisi, lorsque notre arrière-grand-père, Emile Briandet, nous emmena à l'école d'Aigurande dans son antique 201.
Une voiture qui ressemblait aux tacots des films burlesques qui passaient encore à l'époque à la télévision. Noire, poussive, furieusement anachronique. Etre vu dans cet équipage ne me réjouissait pas.
Emile avait été un des premiers paysans du coin à posséder une auto. Il rendait souvent service à l'un ou à l'autre pour une course ou une formalité en ville et, en échange, on venait donner un coup de main à la ferme.
Quand j'ai compris beaucoup plus tard le caractère unique de cette 201, c'était trop tard, un grand-oncle s'en était emparé et je ne sais où elle termina son existence. Il ne me restait que la honte d'avoir eu honte.