Après Thoreau, Hénault. Nil Pétarbrock ayant fermé son clapet, la littérature tasonne n'en est pas muette pour autant, elle bruisse même continûment de voix singulières. Au point que je me demande parfois si cette expression de littérature tasonne n'est pas une sorte de pléonasme. Oui, l'écrivain ne serait-il pas dans sa nature profonde un tason, rin qu'un tason, comme dit le Président (notre Président, pas celui de l'Elysée) ? Voilà tout de même un homme, l'écrivain, qu'on voit peu voire pas du tout travailler, il dit qu'il travaille, mais qu'en sait-on en réalité ? La nécessité de la solitude, invoquée à tour de bras, a bon dos.
Bref. Hénault. Rolland. Avec deux l. Comme Romain Rolland, le pacifiste d'Au-dessus de la mêlée. Ce n'est peut-être pas un hasard, vu les convictions du bonhomme, à qui l'Armée est toujours restée en travers de la gorge. Longtemps qu'il sévit dans le département. Où il fit l'éloge non du tason, mais du plouc. Ce qui n'est pas forcément contradictoire. Le plouc est souvent tason, le tason est souvent plouc. Son heure de gloire fut Le Provisoire, journal satirique qui causa quelque émoi dans la province au mitan des années 70. Ce qui ne fut pas provisoire fut son désir d'écriture : Rolland Hénault a beaucoup écrit, plus d'une trentaine de titres, et l'âge venant, ça frise l'emballement : le dernier opus rassemble pas moins de quatre livres en un, ce sont les Oeuvres presque posthumes, aux Editions de l'Impossible.
Au vu de cette couverture, pas besoin de grandes explications pour saisir que l'humour noir est consubstantiel au personnage (j'emploie à dessein ce terme de consubstantiel, dont le pédantisme ne saurait dissimuler le mot si seyant de con, qu'Hénault affectionne particulièrement).
Bon, j'ai acheté le volume samedi à Arcanes, alors que j'ai su après qu'il dédicaçait à Cultura ce même après-midi. Rencontre loupée, donc. Mais il faut dire aussi que je n'allais pas à Arcanes pour lui, je n'y allais d'ailleurs pour personne.
Tout ça pour dire que je n'ai pas encore lu grand chose, mais suffisamment pour fournir matière de ce petit billet. Car il se trouve que dans le premier livre, Je marche, je lis, je bois (un programme alléchant, bien tason), au chapitre J'ai marché à Argenton-sur-Creuse (ce qui est déjà affriolant en soi), j'ai noté, page 12, ces lignes :
"Je me dirige vers le pont, pas le Vieux Pont, le Neuf, qui ne porte pas de nom, et qui, de ce fait ne porte pas non plus de majuscule. Sauf avec moi : ce pont est "Neuf".
Ce n'est pas le Pont Neuf !
J'aperçois dans un lointain brumeux une personne.
Oui c'est une femme, mais on dit une fille, qui marche en sens inverse.
Tout de suite, je comprends, la rencontre aura lieu sur le pont, au milieu exact de cette oeuvre d'art.
La scène se déroule au printemps 1960.
Ça tombe juste : j'ai 20 ans.
Le caractère providentiel de cette rencontre me foudroie.
C'est surnaturel.
Je lis, à ce moment, "Nadja" d'André Breton. J'ai omis Benjamin Franklin et son dispositif contre la foudre. Est-ce une erreur ? (...)"
Eh oui, au printemps 1960*, alors que les tasons historiques étaient tout juste éclos ou encore en gestation, l'écrivain rencontrait sa femme au beau milieu d'un pont d'Argenton.
La tasonnerie est surnaturelle.
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* Je signale que chaque fois que l'année 1960 apparaît dans mon viseur, dans les aléas de ma vie et ses vicissitudes afférentes (jamais de recherche directe), je consigne maintenant la chose dans le blog Alluvions-1960. Dont voici la dernière trouvaille :
Joan Colom, Fiesta Mayor, 1960 (j'adore du sourire du gazier).