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2 mai 2021 7 02 /05 /mai /2021 15:26

J'avais appris, un peu par hasard, la nouvelle de la mort de la mère de T. Je pus me rendre aux obsèques, prévues dans trois jours, étant en vacances cette semaine-là. Je me garai près de la place aux tilleuls, à l'endroit exact où je me garais si souvent à l'époque où nous hantions le café qui faisait l'angle avec la rue des Fossés Saint-Antoine. Avant de descendre à l'église par la rue Grande, j'allai pisser dans ces vespasiennes semi-enterrées, peintes en blanc et recouvertes à la belle saison de grosses jardinières de géraniums, où Micheline, la tenancière du café, envoyait les clients, de l'autre côté de la rue, car elle se refusa le plus longtemps possible à faire faire des toilettes publiques chez elle. C'était comme un pèlerinage que de descendre les quatre marches qui menaient aux trois pissoirs de céramique blanche. Il s'était mis à pleuvoir, et cela renforçait l'impression de tristesse que j'éprouvai ensuite à parcourir la longue rue autrefois si animée et qui maintenant n'était plus qu'une enfilade de boutiques décaties, le plus souvent à vendre. Deux amis ne tardèrent pas à me rejoindre, avec qui je m'installai au fond de l'édifice, au mépris des consignes sanitaires qui voulaient qu'il n'y eut pas plus de deux personnes par banc. La cérémonie commença, menée par une dame aux cheveux gris (les curés se faisaient trop rares dans le canton) dont la bonne volonté manifeste trébuchait sur les aigus des cantiques dont l'office était comme de coutume entrelardé. Fort heureusement, T. et sa sœur prirent la parole et tracèrent, chacun dans son style, un portrait émouvant d'Hortense, leur mère que je n'avais jamais vue. Je ne savais même pas qu'elle s'appelait Hortense, alors qu'il me semblait que je savais depuis toujours que son père se nommait Louis, et c'est dans cette même église que quinze ans plus tôt, nous avions assisté à ses obsèques, après qu'il fut emporté en quelques mois par un cancer foudroyant, l'année qui suivit celle de sa retraite. Il apparaissait, à entendre la courte biographie déployée par la sœur de T., que ce devait être le destin d'Hortense que d'affronter la mort prématurée des hommes de sa vie : son propre père avait succombé à la tuberculose, à cinquante ans à peine, peu de temps avant la découverte du traitement de la maladie par la streptomycine. Mais, à entendre encore la sœur de T. et T. lui-même, un peu après, dans l'intervalle de deux cantiques asthmatiques, cela n'avait jamais altéré durablement sa joie de vivre, et son attention généreuse à celles et ceux qui lui restaient, ses enfants et petits-enfants, et jusqu'aux touristes qu'elle accueillait dans sa maison dont une partie avait été transformée en chambres d'hôtes. Et, de leurs mots simples, qui ne cherchaient pourtant pas à émouvoir, le frère et la sœur faisaient monter l'image d'une personne que l'on eût aimé connaître.

Invités à partager une collation après la cérémonie, dans la propre maison d'Hortense, nous nous rendîmes pour la première fois dans ce grand pavillon dissimulé derrière les entrepôts d'un marchand de vins et d'alcools divers, noyé dans la verdure mouillée d'un jardin rempli d'arbres fruitiers. Comme dans l'église, nous n'étions pas très nombreux, à cause de la pandémie sans doute mais aussi parce qu'Hortense et Louis n'étaient pas de la région, et que leur propre famille n'avait certainement pas pu venir de leur Bretagne natale. La pluie ayant à peu près cessé, nous continuâmes de discuter sur la large terrasse, un verre de rouge ou de blanc à la main. T. était content que nous soyons venus, et remplissait nos verres avec alacrité. Et j'en déduisais qu'Hortense lui avait légué son enthousiasme, cette spontanéité qui l'avait parfois desservi mais qui, au bout du compte, à l'extrémité d'une vie, se révélait un don précieux. Un petit oiseau à tête noire vint se percher sur la rampe de la terrasse, que je ne sus identifier, mais que je signalai à l'intention de ceux qui étaient là. C'était comme s'il était venu écouter notre conversation qui avait alors dérivé loin des afflictions de l'heure. Il retourna se perdre dans les buissons avant de revenir se poser quelques instants plus tard presque au même endroit.

Tard le même soir, je reçus un message de la sœur de T. Elle avait reconnu l'oiseau : c'était une mésange nonnette. Je lus sur Wikipedia que l'oiseau est peu farouche et très curieux, mais aussi que "les conjoints restent fidèles l'un à l'autre et aussi à leur territoire, qu'ils continuent d'occuper pendant l'hiver". Je songeai que c'était peut-être un signe, mais je n'aurais su dire de quoi.

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commentaires

G
Résumé :<br /> Qui deux fois voit Mésange Nonnette<br /> Toujours le soir ramène musette
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