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17 décembre 2017 7 17 /12 /décembre /2017 07:07

Pourquoi il ne l’a pas tuée ? Il a bien tué la mère.

Loulou Dandrel avait fait le ménage dans sa turne. Vidé les cendars, liquidé un stock de vaisselle qui remontait au début du mois, fait son lit, aéré en grand (pas trop longtemps, il caillait fort sur Tours ce jour-là). A ses yeux c’était nickel. A ses yeux seulement. Mais Lagneau n’était pas maniaque et Isabelle lui était reconnaissante d’avoir fait des efforts. Et puis ils étaient bien crevés de la longue route depuis les Pyrénées.

Ca vous dérangerait de me répondre ?

La vérité, c’est qu’on ne sait pas, finit par dire Isabelle. Il a eu pitié, je pense. Bérenger n’était pas un simple assassin, il voulait seulement se venger de ceux qui avaient anéanti celle qu’il aimait. Il a profité de cette nuit du réveillon pour égorger Chavagnoux-Dusserq, sa femme était un témoin gênant, il n’a pas fait de cadeau.

Oui, mais Lili ?

Les enfants n’ont pas à hériter de la faute des parents, il l’a épargné, mais il ne pouvait la laisser témoigner, il l’a sans doute assommée, mise dans le coffre d’une voiture et puis descendue dans son refuge pyrénéen.

Il aurait pu aussi vous refroidir, jeune homme, lança Lagneau. Mais heureusement pour vous vous étiez tellement bourré…

Oui, je sais, coupa Loulou avec un poil d’agacement, mais enfin, qu’est-ce qu’ils lui ont fait pour qu’elle soit comme ça ?

Un fameux cocktail de plantes, la potion magique laotienne, répondit Isabelle.

Elle va s’en sortir ?

Les médecins de Trousseau sont optimistes. Ce sera l’affaire de quelques semaines, ou de quelques mois au pire.

Ouais, elle se réveillera orpheline. Le choc risque d’être rude.

Isabelle ouvrit la fenêtre, elle avait besoin d’air (il était clair que le loustic n’avait pas aéré plus de quelques secondes malgré ses suppliques au téléphone)

Il faudra l’accompagner, c’est sûr. Mais je serai là, tu seras là.

Et puis vous savez, déclara Lagneau, c’est une très belle fille maintenant... Le “cocktail” l’a fait beaucoup maigrir. Fini la grosse Lili !

Et héritière par dessus le marché d’une belle fortune, renchérit Isabelle. Fille unique, son avenir est assuré, elle ne va pas manquer de soupirants.

Ca va, vous foutez pas de ma gueule !

Il avait envie d’un joint, mais n’osait pas s’en rouler un à cause de Lagneau.

Et La Mère ? Vous l’avez remise aux flics ? Euh, excusez-moi, aux gendarmes… ?

Pas de mal, j’ai l’habitude, dit Lagneau. Non, on ne l’a pas remise aux flics. Elle est sortie très tranquillement dans la nuit, soi disant pour chercher des bûches pour la cheminée. Mais soudain elle s’est mise à courir, elle a dévalé le sentier jusqu’au cimetière et là elle s’est jetée du haut de la falaise.

Vous n’avez rien fait pour l’empêcher ?

Glissé sur une plaque de verglas (Lagneau montra sa cheville encore bandée).

Bérenger mort, son fils adoptif mort, elle n’avait plus rien à faire dans ce monde, enfin c’est ainsi que je le vois, dit Isabelle.

Ils ne savaient plus quoi dire tout d’un coup. C’est comme si un courant d’air directement descendu du pôle s’était enroulé autour de leurs corps. Isabelle referma la croisée, qui grinça atrocement.

Enfin, c’est quand même grâce à lui qu’on est encore vivants tous les trois, non ?

Ils opinèrent du chef. Isabelle n’avait pas tort. Sans Félix Bérenger, ils auraient fini au fond d’un lac ou dans une coulée de ciment.

A la radio, tout à l’heure, reprit Loulou, j’ai entendu que Saint-Etienne avait mis deux pions à l’O.M. A Geoffroy-Guichard. Bérenger aurait été heureux.

Et bien moi, dit Lagneau, j’ai entendu qu’un prêtre a été assassiné au Laos la nuit dernière. Un certain Jean Wauthier, si je me souviens bien.

Belle coïncidence, enfin si l’on peut dire... Vous croyez que ce n’est qu’un hasard ?

Il n’y a pas de hasard. Il n’y a que des rendez-vous.

Paul Eluard, n’est-ce pas ? Je ne suis pas loin de penser comme vous.

Comme moi ? ironisa Lagneau. Un marxiste révolutionnaire, penser comme un sauvage animiste ?

Oh la la ! intervint Isabelle. Voilà que nos deux lascars se sont trouvés des points communs. Le triangle des Bermudes, les soucoupes volantes, il est vrai que vous avez tout pour vous complaire. Et bien moi, je tiens à vous le dire, je suis une matérialiste grand teint, athée comme pas permis, et je vais vous laisser divaguer à loisir, j’ai mieux à faire.

Qu’est-ce que… (ils avaient pris la parole en même temps, et s’étaient ensuite regardés, hilares).

C’est bien ce que je dis, vous êtes faits pour vous entendre. Moi, je file au cinoche (elle enfilait déjà son manteau)

Qu’est-ce que tu vas voir ?

Playtime, de Tati. Il est sorti aujourd’hui.

Très peu pour moi, s’écria Loulou. Il paraît qu’il n’est pas drôle du tout.

Je n’aime que les films policiers, dit Lagneau. Soyez prudente, attention aux plaques de verglas.

Comme vous voudrez.

Et puis ils éclatèrent de rire.

Mais non, on déconne. On vient avec toi, bien sûr.

Evidemment… Mais où j’ai posé ma béquille, moi ?

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